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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 96

Le jeudi 2 février 2023
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le jeudi 2 février 2023

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le décès d’Ian Dawson Tyson, C.M., A.O.E.

L’honorable Scott Tannas : Honorables sénateurs,

Quatre vents forts qui soufflent solitaires

Sept mers qui s’agitent fort

Ces choses ne changent pas, quoi qu’il advienne

Si les bons moments sont tous passés

Je dois donc m’en aller

Si je reviens par ici, je viendrai te chercher.

Ces paroles forment le refrain du classique canadien Four Strong Winds, composé par Ian Tyson et enregistré pour la première fois par Ian et son épouse, Sylvia Fricker. Pour les Canadiens, ils étaient simplement Ian et Sylvia.

Le 29 décembre, Ian Tyson s’est éteint et le Canada a perdu une légende de la musique folk et country.

Un auteur-compositeur-interprète country transplanté en Alberta, il a appris seul à jouer de la guitare alors qu’il était hospitalisé à la suite d’un accident de rodéo.

Sa carrière musicale a commencé vers la fin des années 1950 quand il s’est joint à la scène musicale folk de Toronto. Il a rencontré Sylvia, sa partenaire dans la musique et dans la vie. Leur duo a enregistré 13 albums.

En 1975, ils ont mis fin à leur vie commune, tant privée que professionnelle. Ian est retourné en Alberta pour y poursuivre sa carrière musicale en tant qu’artiste solo. Il a également entrepris de réaliser son rêve de posséder un ranch dans les contreforts du Sud de l’Alberta et d’être un cow-boy. Il s’est efforcé de gagner le respect de ses confrères éleveurs et des environnementalistes en tant que défenseur de la bonne gestion et de la conservation des terres.

Durant cette période de sa vie, sa musique a pris une couleur plus country. Il a continué à écrire et à enregistrer jusqu’en 2015.

Ian Tyson était membre de l’Ordre du Canada et de l’Ordre d’excellence de l’Alberta. Il a aussi été intronisé au Panthéon de la musique canadienne et au Temple de la renommée de la musique country canadienne.

Pour ses admirateurs, Four Strong Winds sera toujours leur chanson favorite.

Sur une note un peu plus personnelle, je dois dire que, depuis 40 ans, on voyait très souvent Ian dans la ville où j’habite, High River, car son ranch est situé à une trentaine de kilomètres de là. Ian était un homme humble, mais il était généreux de son temps et de son argent. Pendant des années, il y a une anecdote qui circulait parmi la population de High River. Un jour que Ian réglait des achats avec sa carte de crédit, la jeune commis, en voyant le nom inscrit sur ladite carte, lui aurait dit : « Vous ressemblez beaucoup au Ian Tyson qui était célèbre », ce à quoi il a répondu : « On me le répète souvent, mais je crois que c’est de moins en moins vrai. »

Il manquera terriblement à ses proches et à ses admirateurs, mais sa musique, qui fait honneur à ses racines de l’Ouest, sera toujours dans nos mémoires.

[Français]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Yannick Fréchette, fils de la sénatrice Gagné, et de Joannie Roy, sa belle-fille.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La Fondation des maladies du cœur et de l’AVC du Canada

L’honorable Michèle Audette : Honorables sénateurs, en ce mois de février, le mois de l’amour, mais surtout le mois du cœur, je me lève pour vous parler à cœur ouvert. En fait, je me suis retrouvée le cœur en miettes lorsque j’ai appris que les recherches sur les maladies du cœur et l’AVC chez les femmes accusent 14 ans de retard — c’est l’âge de mon fils — et parce que les deux tiers des études cliniques étaient aussi axés sur nos fils, nos frères, nos pères : sur les hommes. Doublement crève-cœur : les maladies du cœur et l’AVC sont la principale cause de décès prématuré chez les femmes au Canada.

Selon Cœur + AVC, les maladies du cœur et l’AVC ont fauché 32 271 femmes au Canada en 2019 seulement. Cela veut dire une femme qui part toutes les 16 minutes. Vous comprendrez qu’il ne m’en faut pas plus pour que mon petit cœur d’artichaut soit interpellé.

Chers collègues, les femmes ne subissent pas toujours une crise cardiaque comme on le voit à la télévision ou au cinéma, dans le style Hollywood. Cela peut être caractérisé par des douleurs poignantes à la poitrine. Les signes et les symptômes d’une crise cardiaque passent souvent inaperçus pour la moitié de ces femmes.

Chères sénatrices, mes chères amies, ma grande famille de sénatrices, c’est avec un pincement au cœur que je souhaite ardemment percer votre cœur pour que toutes ces femmes soient les prochaines à être les mieux protégées. Je ne vous dirai pas en long et en large quels sont ces douleurs ou ces symptômes, mais cela peut nous arriver.

N’ayez pas le cœur barbouillé, car Cœur + AVC travaille fort, chaque jour, afin de réduire les écarts et de lutter contre les maladies du cœur et cérébrales en vue de préserver notre santé. On y a droit aussi.

J’espère sincèrement que mon intervention vous a touché droit au cœur. Prenez-en soin; moi, j’essaie de le faire.

Pour terminer, je veux saluer un petit cœur innu qui a été nommé au conseil d’administration de Cœur + AVC : M. Francis Verreault‑Paul. C’est un jeune homme que j’admire beaucoup. Tshinashkumitin pour ton implication.

N’oubliez pas : à cœur vaillant rien d’impossible!

[Traduction]

L’innovation dans le domaine des pêches

L’honorable Colin Deacon : Honorables sénateurs, vous serez peut-être surpris d’apprendre que, même si je vis en Nouvelle‑Écosse, je n’ai pas vraiment le pied marin. En effet, lorsque je suis sur un bateau et que l’eau s’agite, je ne suis d’aucune aide. Je suis plutôt une source d’amusement parce que je passe la plupart de mon temps à nourrir involontairement les poissons.

C’est l’une des raisons pour lesquelles j’admire les femmes et les hommes courageux et vaillants qui vont travailler sur les mers froides et dangereuses pour aller livrer, chaque année, quelque 2,4 milliards de dollars en fruits de mer de notre province dans plus de 60 pays.

Je suis également reconnaissant de l’ingéniosité qui rend leur travail moins dangereux et plus durable. Marc d’Entremont de Yarmouth, en Nouvelle-Écosse, est l’un de ces innovateurs ingénieux. Il vient d’une famille comptant plusieurs générations de pêcheurs. Alors qu’il était encore dans la vingtaine, il était copropriétaire de trois chalutiers de 65 pieds et pratiquait la pêche au poisson de fond le long du havre de Pubnico, en respectant les quotas en vigueur. Ce type de pêche utilise un engin de chalutage traditionnel, à savoir un grand filet en forme d’entonnoir qui drague le fond de l’océan. Cette pratique prend beaucoup de temps et de carburant, et le filet contient non seulement les espèces ciblées, mais aussi de nombreuses prises accessoires qu’il faut jeter par‑dessus bord. Elle peut aussi souvent entraîner la perte d’engins de pêche et endommager l’écosystème.

(1410)

Lorsqu’il était dans la trentaine, M. d’Entremont a quitté l’entreprise familiale pour se consacrer à la refonte complète des méthodes utilisées pour le chalutage. Sa nouvelle entreprise, Katchi, a mis au point un système de chalutage volant qui utilise des sondeurs et l’intelligence artificielle afin que les filets de pêche ne touchent pas le fond marin. Katchi s’efforce également de rassembler les espèces ciblées tout en éloignant les espèces indésirables. En collaboration avec des partenaires, l’entreprise a conçu un navire de service sans équipage pour repérer les poissons dans les eaux environnantes et fournir l’emplacement précis des espèces ciblées. Leurs méthodes novatrices réduisent la consommation de carburant, les dommages causés à l’écosystème et le risque de perte d’engins de pêche dans l’océan.

Katchi promet des captures beaucoup plus rentables aux pêcheurs et une pêche beaucoup plus durable. Pour reprendre les mots de M. d’Entremont, il n’y a que des avantages et aucun inconvénient, et les experts mondiaux en conviennent. Katchi a remporté le prix Cisco Global Problem Solver Challenge et a déjà dirigé un projet de 3,3 millions de dollars de la Supergrappe des océans du Canada.

Plus que jamais, nous sommes mis au défi d’obtenir simultanément de meilleurs résultats économiques, environnementaux et écologiques. Certains pensent qu’il s’agit de priorités concurrentes. Ce n’est pas mon cas — si nous sommes prêts à changer notre façon de faire les choses, c’est-à-dire abandonner nos idées préconçues, modifier nos pratiques et, parfois, adapter nos règles et règlements. Pour obtenir ces meilleurs résultats, nous devons faire preuve d’une grande innovation afin de pouvoir continuer à créer les conditions nécessaires à la prospérité et à l’épanouissement des générations futures.

Merci, chers collègues.

La stratégie nationale d’adaptation

L’honorable Rosa Galvez : Honorables sénateurs, le Canada doit continuer à prendre des mesures concrètes pour devenir plus résilient face aux effets sans cesse croissants des changements climatiques. Le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe, adopté par les Nations unies en 2015, définit une approche globale en matière de gestion des risques de catastrophe en mettant l’accent sur la réduction de la vulnérabilité et l’accroissement de la résilience. Ce cadre a éclairé des travaux sur l’adaptation, dont la Stratégie nationale d’adaptation du Canada de 2022, qui jouera un rôle essentiel pour ce qui est de nous préparer à relever les défis d’aujourd’hui.

Ce cadre permet à tous les paliers de gouvernement de coordonner leurs actions pour contrer les effets des changements climatiques sur notre économie, nos infrastructures, nos environnements naturels, notre santé et notre bien-être.

Les ingénieurs jouent un rôle crucial pour ce qui est de concevoir et de construire des infrastructures plus résilientes — par exemple, en renforçant les codes du bâtiment. Les ingénieurs sont formés pour tenir compte des effets potentiels des changements climatiques sur les infrastructures et pour faire adopter des mesures visant à réduire le risque qu’ils représentent. Cela passe par la conception de bâtiments, de routes et de ponts plus résistants aux phénomènes météorologiques extrêmes et mieux adaptés à l’évolution du climat.

L’American Society of Civil Engineers, l’ASCE, a donné des arguments pour justifier l’Inflation Reduction Act qui représente 1,2 billion de dollars. L’initiative ATLAS de l’ASCE pour les infrastructures résistantes aux changements climatiques soutient l’objectif de l’Inflation Reduction Act parce qu’elle fait la promotion de l’intégration de la résilience dans la planification, la conception, la construction et l’entretien. L’initiative vise à améliorer la qualité des infrastructures en créant des évaluations nationales de la résistance aux changements climatiques et elle vise également à réduire les risques liés aux changements climatiques, à diffuser les connaissances et les innovations et à attirer des capitaux en vue de bâtir une société plus compétitive et plus résiliente.

La prochaine réunion du G7, qui aura lieu au Japon en mai 2023, donnera l’occasion aux grandes économies de la planète de se réunir et de trouver des solutions aux problèmes liés aux changements climatiques et à la résistance à ces derniers, des solutions comme l’adoption des principes de l’initiative ATLAS. Le Canada doit profiter de l’occasion pour montrer les progrès réalisés au pays en matière de résilience et se servir de l’expertise des sociétés qui sont en cours d’apprentissage pour développer de nouvelles solutions novatrices afin de répondre aux défis auxquels nous devons faire face.

Merci. Meegwetch.

Le décès de Gino Odjick

L’honorable Patrick Brazeau : Je vous remercie, honorables sénateurs.

[Note de la rédaction : Le sénateur Brazeau s’exprime en algonquin.]

Honorables sénateurs, le 15 janvier, lors du décès de l’ancien joueur de la LNH Gino Odjick, qui était originaire de la réserve anishinabeg de Kitigan Zibi, nous avons perdu une légende, une légende algonquine. Né le 7 septembre 1970, Gino était d’origine modeste, comme bon nombre d’entre nous. Ayant cinq frères et sœurs, Gino a compris l’importance de partager et de prendre soin des autres, à l’exemple de ses parents, Joe et Giselle, qui ont servi de famille d’accueil à 32 enfants pendant leur vie.

Gino a travaillé dur avec son père, l’aidant à prendre soin des chevaux et l’accompagnant dans la forêt, jusqu’à ce qu’il ait l’occasion de jouer au hockey à l’extérieur de la réserve, la première fois avec l’équipe d’Hawkesbury puis, avec celle de Laval.

À l’école secondaire, quand un enseignant avait demandé à Gino ce qu’il comptait faire dans la vie, Gino avait immédiatement répondu : « Je serai joueur de hockey professionnel », ce à quoi l’enseignant avait répliqué : « Tu rêves. En tout cas, je te souhaite bonne chance. »

Gino a participé à 605 matchs dans la LNH avec les Canucks, les Islanders, les Flyers et mon équipe favorite, les Canadiens de Montréal — même s’il a accumulé un peu plus de 605 minutes de pénalité.

[Français]

Gino pouvait illuminer une salle par sa présence, son amabilité et son optimisme indéfectible. Il avait un cœur d’or et un comportement qui faisait que tous ceux qui l’entouraient se sentaient spéciaux. Il avait une passion pour la vie qui était tout simplement contagieuse.

Pour Gino, la vie n’a jamais été une question d’accolades et de réalisations. C’était un homme humble, authentique et loyal, toujours à l’écoute des autres, et il avait à cœur de redonner à la communauté et aux Premières Nations.

Gino était bien plus qu’un joueur de hockey. Il était un modèle qui nous a montré tout ce que la détermination et une attitude positive peuvent accomplir. Il était aussi un père aimant, très fier de ses enfants, et un ami fidèle pour plusieurs.

[Traduction]

Gino est passé dans le monde des esprits à 52 ans à peine, mais nous pouvons nous consoler en pensant qu’il a vécu pleinement et qu’il a fait de nombreuses expériences uniques. Il a réalisé le rêve de tous les joueurs de hockey puisqu’il a eu l’occasion de participer aux finales de la Coupe Stanley contre les Rangers de New York en 1994.

Ce fut pour nous tous un moment de grande fierté lorsqu’il a été immortalisé au Temple de la renommée des sports de la Colombie‑Britannique et qu’il a été placé à côté de Pat Quinn, pour qui il éprouvait énormément de respect.

Chers collègues, je vous invite à vous joindre à moi et à l’ensemble de la nation algonquine pour rendre hommage à l’esprit de Gino Odjick et pour faire exactement ce que faisaient les fans de Gino à Vancouver, c’est-à-dire scander son nom pour que les gens de la réserve anishinabeg de Kitigan Zibi, située à une heure et demie au nord d’Ottawa, puissent entendre « Gino, Gino, Gino. »

Meegwetch.

[Français]

Le décès d’Al Fleming

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à un bon ami à moi et à un bon ami du Sénat, Al Fleming, un homme à qui nous avons d’ailleurs rendu hommage pas plus tard que mardi en observant une minute de silence.

Al a su marquer tous ceux qui ont eu le privilège de le connaître et de travailler avec lui. Il était déterminé, authentique, sympathique et aimé de tous.

Au fil des ans, Al et moi avions développé un rituel de salutation amusant. Lorsque nous nous croisions, l’un disait « Bonjour, comment allez-vous? », et l’autre s’empressait de répondre « Beaucoup mieux maintenant que je vous ai vu. » J’entends sa voix alors même que je prononce ces mots, et je présume que beaucoup de personnes ici présentes peuvent également entendre sa voix distinctive et se rappeler les souvenirs de lui qu’ils gardent précieusement.

Quelle que soit notre affiliation, Al a été pour beaucoup d’entre nous un conseiller efficace et un précieux ami. Je crois que cela est attribuable au fait qu’il était guidé par des valeurs solides fondées sur sa foi.

Chers collègues, j’aimerais vous faire part d’une note intemporelle de la part d’Al dans l’espoir que ces mots me guident et guident chacun d’entre nous. En janvier 2015, il m’a écrit :

Merci [...] de défendre vos croyances au nom des chrétiens, de ceux qui embrassent la liberté et de quiconque possède un sens de la justice et de l’égalité ainsi qu’un véritable respect pour la diversité.

(1420)

Nos droits et libertés reposent sur la croyance fondamentale en Dieu, sur la mention de Dieu et sur la grâce qu’Il a donnée à ce pays [...]

Ce que vous faites compte VRAIMENT pour moi, pour les autres, pour les croyants du pays et pour le Canada.

Chers collègues, il m’apparaissait important de rendre hommage aujourd’hui à cet homme sage, mais humble.

Al était un fervent chrétien et il était convaincu que, à la fin de sa vie, il rencontrerait personnellement son Seigneur et Sauveur Jésus‑Christ. Lorsque ce moment est arrivé le 7 janvier dernier, j’ai pu m’imaginer la joie sur le visage d’Al et Jésus lui souriant alors qu’il lui a dit : « Je vais beaucoup mieux maintenant que je vous ai vu. »

Chers collègues, j’attends avec impatience le jour où je retrouverai Al Fleming et que je pourrai lui dire : « Je vais beaucoup mieux maintenant que je vous ai vu. »

Le Ciel a gagné ce que nous avons perdu, et je tiens à offrir mes plus sincères condoléances à ses proches : sa femme, Beth, sa famille, ses amis et tous les sénateurs.

Merci, chers collègues.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-291, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence (matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels), accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Martin, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après‑demain.)


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

Dépôt de réponses à des questions inscrites au Feuilleton

L’Agence du revenu du Canada—Les droits d’accise sur les produits alcoolisés

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 7, en date du 23 novembre 2021, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénateur Plett, concernant les droits d’accise sur les produits alcoolisés.

L’Agence du revenu du Canada—Les refuges

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 34, en date du 23 novembre 2021, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénateur Plett, concernant l’Agence du revenu du Canada — refuges.

Les relations Couronne-Autochtones et les affaires du Nord—La traite des personnes

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 51, en date du 23 novembre 2021, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénateur Plett, concernant la traite des personnes — Relations Couronne‑Autochtones et Affaires du Nord Canada.

La sécurité publique—La traite des personnes

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 51, en date du 23 novembre 2021, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénateur Plett, concernant la traite des personnes — Sécurité publique Canada.

Les services publics et l’approvisionnement—La traite des personnes

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 51, en date du 23 novembre 2021, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénateur Plett, concernant la traite des personnes — Services publics et Approvisionnement Canada.

L’Agence du revenu du Canada—L’Allocation canadienne pour enfants

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 105, en date du 25 novembre 2021, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénateur Downe, concernant l’allocation canadienne pour enfants.

L’Agence du revenu du Canada—La radiation de dettes

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 107, en date du 25 novembre 2021, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénateur Downe, concernant la radiation de dettes.

L’Agence du revenu du Canada—L’évasion fiscale à l’étranger

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 108, en date du 25 novembre 2021, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénateur Downe, concernant l’Agence du revenu du Canada.

Les pêches et les océans—Les brise-glaces

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 161, en date du 5 mai 2022, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénateur Plett, concernant les brise-glaces — Pêches et Océans Canada.

Les services publics et l’approvisionnement—Les brise-glaces

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 161, en date du 5 mai 2022, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénateur Plett, concernant les brise-glaces — Services publics et Approvisionnent Canada.

L’Agence du revenu du Canada—L’évasion et la fraude fiscales

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 162, en date du 5 mai 2022, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénateur Plett, concernant l’évasion et la fraude fiscales.

Les ressources naturelles—Le Programme 2 milliards d’arbres

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 172, en date du 13 décembre 2022, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénateur Plett, concernant le Programme 2 milliards d’arbres.

Les services publics et l’approvisionnement—Le site du 24, promenade Sussex

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 173, en date du 13 décembre 2022, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénateur Plett, concernant le site du 24, promenade Sussex.

La sécurité publique—Le service téléphonique national concernant la traite de personnes

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) dépose la réponse à la question no 186, en date du 13 décembre 2022, inscrite au Feuilleton et Feuilleton des préavis au nom de l’honorable sénateur Plett, concernant le service téléphonique national concernant la traite de personnes.


[Français]

ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’article 4-13(3) du Règlement, j’informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l’ordre suivant : l’étude de la motion no 80, suivie de tous les autres articles dans l’ordre où ils figurent au Feuilleton.

[Traduction]

Projet de loi sur les nouvelles en ligne

Adoption de la motion tendant à déclarer nulles et non avenues toutes les délibérations tenues jusqu’à présent

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 1er février 2023, propose :

Que toutes les délibérations tenues jusqu’à présent sur le projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada, soient déclarées nulles et non avenues.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Français]

Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada, accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Gagné, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après‑demain.)

(1430)

[Traduction]

Projet de loi sur la diffusion continue en ligne

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dawson, appuyée par l’honorable sénatrice Bovey, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, tel que modifié.

L’honorable Scott Tannas : Honorables sénateurs, je tiens d’abord à remercier le comité pour les dizaines d’heures qu’il a consacrées au projet de loi et pour les soins et l’attention qu’il a prodigués aux innombrables témoins. Je suis loin d’avoir assisté à toutes les réunions du comité, mais j’ai assisté à certaines d’entre elles pendant l’audition des témoins et l’étude article par article.

Je suis heureux que le comité ait apporté des amendements assez importants. En conséquence, j’appuie le renvoi du projet de loi à la Chambre des communes. Je crois qu’il fait honneur à notre obligation d’exercer un second examen objectif.

Maintenant, comme j’ai suivi les audiences du comité, que j’ai assisté à des séances d’information et que j’ai écouté les excellents discours donnés au Sénat jusqu’à maintenant — et il y en aura d’autres —, je tiens à consigner au compte rendu certaines de mes réflexions et de mes préoccupations.

D’abord, j’ai été frappé par le témoignage de Peter Menzies, éminent journaliste, cadre dans le secteur des médias et ancien vice‑président du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, sur l’objet du projet de loi. Selon les séances d’information, j’adhère à son opinion concernant l’objet du projet de loi. Il a dit ceci :

[C’]est effectivement ce dont les ministres ont parlé dès le départ. L’objectif était de s’assurer que le système permette de tirer de l’argent des géants du Web.

Si c’est là le problème, je suggère de simplement le régler. Il n’est pas nécessaire de se mêler du contenu produit par les utilisateurs et de ces autres activités et de s’occuper des petites entreprises ou de promouvoir les entreprises ou les gens qui profitent de la beauté et des merveilles d’Internet et qui réussissent. Il n’est pas nécessaire de restreindre tout cela.

Si ce sont les fonds traditionnels et les géants du Web qui vous intéressent, occupez-vous de cela.

Une voix : Bravo!

Le sénateur Tannas : Pendant l’intervention de M. Menzies, un vieil adage m’est venu à l’esprit : « Il n’y a aucun problème que le gouvernement ne peut pas rendre plus compliqué. » C’est aussi typiquement canadien, en quelque sorte. Très souvent, nous semblons incapables d’aller droit au but sans compliquer un peu les choses dans notre empressement à être gentils, à être rigoureux, à être équitables et à veiller à ce que rien ne nous échappe.

L’objectif du projet de loi — selon ce qu’on nous a dit et ce qu’on m’a dit pendant la séance d’information du gouvernement — était de faire en sorte que les services de diffusion en continu commencent à verser des sommes considérables dans les fonds pour soutenir les artistes de partout au pays, alors que les câblodistributeurs et d’autres médias traditionnels s’essoufflent.

La majorité des préoccupations que j’ai entendues, tant au comité qu’au Sénat, portent sur des problèmes potentiels qui ne sont pas liés à la raison d’être du projet de loi. Ces questions sont les suivantes. Les petits services spécialisés de diffusion en continu vont-ils se retirer du Canada? Le contenu généré par les utilisateurs, les producteurs et les créateurs seront-ils victimes d’ingérence? Les algorithmes seront-ils récupérés par le gouvernement pour nous forcer à consommer des produits artistiques que nous n’avons pas choisis?

Au comité, des témoins du gouvernement et, dans cette enceinte, des sénateurs nous ont assuré que nos inquiétudes n’étaient pas fondées. Nous avons en fait apporté au projet de loi — grâce aux efforts des membres du comité — certains amendements pour nous rassurer à ce sujet.

Cela dit, la publication des règlements et les actions futures du CRTC restent à venir. Nous devons rester à l’affût pour nous assurer que nos cauchemars ne deviennent pas réalité. Le succès — ou l’échec — du projet de loi dépend en grande partie de la transformation du CRTC et du passage à un organisme de réglementation plus agile, car rien ne tue l’innovation comme les retards.

Je crois que le Sénat aura un rôle soutenu et vital à jouer à l’égard de ce projet de loi au cours des prochaines années. J’exhorte le Comité des transports et des communications à envisager d’imiter la pratique de longue date du Comité des banques, qui interagit régulièrement et systématiquement avec le gouverneur de la Banque du Canada.

On a déjà dit, et c’est bien connu, que cette pratique a été bien accueillie par des gouverneurs précédents, puisqu’il s’agit d’une excellente façon d’échanger des idées, et c’est une occasion unique pour le gouverneur d’assumer ses responsabilités et de rendre des comptes en personne. Le surintendant des institutions financières a abondé dans le même sens par le passé, au Comité des banques — j’ai participé à ce genre d’exercice. C’est une excellente approche que le Comité des transports et des communications devrait suivre en rencontrant fréquemment le président du CRTC et en participant au processus de réglementation et d’exécution. Ce serait extrêmement utile.

Après avoir fait tout ce travail, entendu plus de 100 témoins et reçu des milliers de messages de la part de gens de partout au pays qui sont inquiets, le moins que nous puissions faire, c’est de veiller à ce que ce projet de loi soit mis en œuvre comme on nous l’a indiqué. Merci.

[Français]

L’honorable Pierre J. Dalphond : Chers collègues, permettez-moi d’offrir quelques commentaires pour expliquer mon appui au projet de loi C-11.

Je précise que je n’entends pas commenter chacune des dispositions de cette loi ni les amendements proposés.

Je ne ferai pas non plus de commentaire sur l’importance qu’a eue la Loi sur la radiodiffusion dans le soutien et le développement de la culture canadienne, qu’elle soit francophone, anglophone, autochtone ou en d’autres langues que les langues officielles ou autochtones. D’autres l’ont fait avant moi avec brio, dont notre nouveau collègue le sénateur Cardozo et un doyen de notre Chambre, le sénateur Dawson.

Je m’en tiendrai uniquement à une question que je considère au cœur de ce projet de loi, celle de la découvrabilité des produits culturels québécois et canadiens sur les plateformes les plus connues.

D’entrée de jeu, je souligne que je ne crois pas en l’existence d’une vaste conspiration des plateformes visant à créer une culture universelle de langue anglaise et professant certaines valeurs américaines.

Selon un rapport de l’UNESCO de 2009, après 12 années d’évaluation de la diversité linguistique sur Internet, intitulé Douze années de mesure de la diversité linguistique sur l’Internet : bilan et perspectives, la part de l’anglais sur Internet était passée de 75 % en 1998 à 45 % en 2005.

De plus, plus récemment, l’Observatoire de la diversité linguistique et culturelle dans l’Internet, un organisme qui fait partie de l’Organisation internationale de la Francophonie, souligne qu’en 2021, la part de l’anglais en pourcentage global des pages du Web ne représentait plus de 26,5 %.

Voilà qui démontre que le contenu du Web est de plus en plus diversifié. L’entrepôt virtuel, si on peut ainsi dire, est de plus en plus grand et contient de plus en plus de produits en diverses langues.

Une autre donnée que je retiens comme importante est le taux de pénétration d’Internet. Selon les chiffres de 2020 de l’Internet World Stats, seulement 35,2 % des francophones ont accès à Internet dans le monde, alors que c’est le cas pour 77,5 % des anglophones, 70,4 % des hispanophones et 53 % des arabophones.

(1440)

Ce déficit d’accès francophone s’explique par le faible taux de connexion à Internet en Afrique francophone, qui ne serait actuellement que de 41 %. On prévoit cependant que, d’ici 2060, ce taux sera de 85 % chez les locuteurs francophones d’Afrique. Comme l’a déjà souligné la sénatrice Gerba, l’avenir de la Francophonie passe par l’Afrique. Il ne fait pas de doute que le branchement graduel de quelques centaines de millions de francophones d’Afrique devrait se traduire par la production de beaucoup de produits en français, culturels et autres, ce qui augmentera le contenu francophone sur Internet. Je m’en réjouis grandement.

Bien entendu, l’existence de contenu francophone sur le Web est le point de départ de la consommation de produits culturels francophones. S’il n’y a rien à offrir, s’il n’y a rien dans l’entrepôt, il n’y aura pas de consommation.

Il faut cependant constater que si les contenus de langue anglaise ne représentent plus la majorité des contenus disponibles — loin de là —, ce n’est pas le cas de la consultation des contenus. En effet, 61,1 % des sites les plus fréquentés sont en anglais, selon la dernière publication de septembre 2022 du Web Technology Survey par W3Techs.

Une autre étude nous a appris que 85 % du temps d’écoute sur Spotify porte sur 0,7 % du catalogue. Plusieurs facteurs peuvent expliquer la surconsommation de certains produits, dont les produits culturels en anglais.

L’un de ces facteurs est le plus petit nombre de plateformes francophones. C’est pourquoi, afin de mettre de l’avant des produits francophones, les pays membres de la Francophonie, y compris le Canada, ont lancé en septembre 2020 la plateforme TV5MONDEplus, une plateforme gratuite qui est une sorte de Netflix de la Francophonie. Cette plateforme permet d’augmenter la présence en ligne des émissions et des films produits en français, de contribuer au rayonnement des créations de la Francophonie internationale et de renforcer la découvrabilité des contenus francophones sur Internet. Les productions francophones de TV5MONDEplus sont disponibles actuellement dans 196 pays.

Cependant, un autre facteur semble expliquer la faible consultation de produits culturels francophones : c’est ce qu’on appelle les suggestions de la plateforme.

Ainsi, une étude a montré que de 70 % à 80 % du contenu visionné sur YouTube par les internautes est le résultat de recommandations sur des produits. On va en visiter un, on s’en fait recommander d’autres et on y reste longtemps.

Comme vous le savez, ces recommandations se font par l’utilisation d’algorithmes.

Aucun expert extérieur, tant en Europe qu’en Amérique du Nord, n’a accès au détail des paramètres de programmation de ces algorithmes, puisque les plateformes les considèrent comme des secrets commerciaux. L’Europe prépare d’ailleurs une réglementation sur la question.

Devant cette situation, des chercheurs ont entrepris de mesurer la découvrabilité des contenus des produits culturels francophones au Québec sur les principales plateformes.

Dans un rapport de mars 2021 publié par le Laboratoire de recherche sur la découvrabilité et les transformations des industries culturelles à l’ère du commerce électronique de l’Université du Québec à Montréal, qui s’intitule Être ou ne pas être découvrable?, on propose une définition de la découvrabilité. Je la cite :

Le système de « découvrabilité » est un ensemble de processus qui structurent et déterminent la possibilité et la capacité des publics de découvrir des produits culturels en ligne, autrement dit, de les repérer ou de se les faire présenter, sans nécessairement les chercher parmi un vaste ensemble de contenus organisé par des systèmes de prescription et de recommandation.

Cette définition met l’accent sur des processus et des dynamiques complexes et multiples qui interviennent entre un consommateur en ligne et une plateforme, ainsi que sur l’incidence de ces processus sur la propension d’un public à découvrir des produits.

Ce processus complexe et dynamique s’apparente un peu, en simplifiant à l’extrême, à l’offre de produits dans votre supermarché. Souvent, le produit qui se vend le mieux est le plus mis en évidence. Le positionnement stratégique de ce produit fait en sorte qu’il peut exister quatre ou cinq produits concurrents qui se retrouvent à proximité du produit vedette, mais sur la tablette du haut ou celle du bas, et que la plupart des consommateurs ne les verront probablement pas.

Certes, on peut dire que le choix du consommateur est libre, puisque c’est lui qui prend le produit le plus en évidence et à la hauteur appropriée. Cependant, tout le monde sait que ce positionnement résulte d’une décision du supermarché, soit parce que ce produit génère une marge supérieure de profit, soit parce que le fournisseur a payé pour un placement avantageux du produit.

Si le législateur choisit d’intervenir pour exiger un positionnement équitable de tous les produits, on ne peut sérieusement prétendre que la liberté de choix des consommateurs est alors réduite. On pourrait plutôt soutenir qu’elle augmente.

Dans le cas des produits qui se trouvent dans l’entrepôt d’une plateforme, les tablettes sont remplacées par des algorithmes. Sans ces algorithmes, une plateforme deviendrait une sorte d’immense bibliothèque sans système de classement.

Ces algorithmes, qui sont de plus en plus sophistiqués grâce à l’intelligence artificielle, sont capables de reconnaître le consommateur, de se rappeler ce qu’il a consulté depuis des semaines, des mois, voire des années, du montant qu’il est prêt à payer lorsqu’il fait une transaction, et cetera. Puis, dans sa volonté d’anticiper son nouveau besoin, l’algorithme lui présente des contenus.

Pour certains, il s’agit d’une opération tout à fait neutre qui donne le résultat souhaité par le consommateur, même si les paramètres de l’algorithme ne sont pas vérifiables.

Par conséquent, interférer avec l’algorithme, selon eux, ou même obtenir les détails de ces paramètres, tient de la menace à la liberté de choix. C’est ce que j’ai entendu dans plusieurs discours ces derniers jours.

Cela présume que l’algorithme et son intelligence artificielle sont parfaitement neutres et capables d’anticiper les besoins des utilisateurs de façon impartiale. Cela présume qu’il n’existe aucun biais culturel possible dans la programmation sous-jacente à l’algorithme, qui est fort complexe.

Enfin, bien sûr, cela présume qu’il n’existe aucune programmation visant à augmenter le nombre de clics ou le temps de visionnement et les revenus afférents.

Malheureusement, de temps à autre, des enquêtes et des révélations — devant le Congrès américain notamment — ont mis à mal ces prémisses. Cela explique la décision de l’Union européenne et de plusieurs pays d’encadrer l’offre de produits par les plateformes, afin notamment de protéger la spécificité culturelle de ces pays.

La nécessité de faire de même au Canada pour les produits culturels en français est démontrée dans le rapport scientifique que le Laboratoire de recherche sur la découvrabilité a publié le 8 mars 2021 et dont j’ai parlé il y a quelques minutes. Ce rapport concluait en effet qu’il existe des barrières à la découvrabilité en faisant les constats suivants :

Premièrement, il n’existe pas de « classification Québec » sur Netflix, iTunes, YouTube, et cetera.

Deuxièmement, on note une très faible présence de contenus audiovisuels québécois, ce qui, en retour, explique que les algorithmes n’en trouveront pas et n’en proposeront pas. Par exemple, aucun des 29 films québécois produits en 2016 ne se retrouve sur Netflix. Quant aux 29 nouveaux films qui ont été réalisés lors de l’étude, on en retrouvait 10 sur iTunes et 19 sur la plateforme payante YouTube.

Troisièmement, on a noté une relative absence d’offre de films et de séries québécoises destinés à la diffusion en continu sur les plateformes transnationales.

Quatrièmement, les nouvelles plateformes comme Disney+, Amazon Prime et Apple TV intègrent peu, voire aucun contenu audiovisuel québécois.

Cinquièmement, les listes de nouveautés musicales québécoises sont présentes dans une grande proportion sur les plateformes, mais elles sont peu visibles et très peu recommandées; la situation est encore bien pire lorsqu’il ne s’agit pas d’une nouveauté, mais d’un ancien succès.

Sixièmement, en matière de diffusion musicale en continu, les tests effectués de mars à août 2019 ont révélé qu’aucun des services de diffusion en continu « premium » n’a répondu aux attentes très précises de l’auditrice de référence utilisée pour les fins des tests.

(1450)

Septièmement, les plateformes ne fournissent pas de détails quant aux contenus consommés au Québec et à la consommation des contenus québécois.

En conclusion, tant le contenu des plateformes que les algorithmes de référence ont donné lieu à de mauvais résultats quant aux produits culturels québécois.

Dans ce contexte, il n’est que légitime de vouloir encadrer le contenu québécois et canadien de ces plateformes de même que la découvrabilité des produits québécois et canadiens qui y sont entreposés. Mes propos au sujet des instruments culturels francophones valent aussi pour les instruments culturels autochtones et canadiens anglophones.

C’est pourquoi j’appuie le projet de loi C-11, qui favorisera le contenu canadien et qui fera en sorte que les algorithmes présenteront aussi ces produits et les rendront découvrables.

Merci de votre attention. Meegwetch.

[Traduction]

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-11. Permettez-moi d’abord de saluer les nombreux Canadiens qui ont de grandes préoccupations au sujet de ce projet de loi et qui ont pris le temps de nous contacter pour nous en faire part. Sachez que le caucus conservateur du Sénat vous a entendus et que nous avons fait tous les efforts possibles pour vous donner une voix au comité et dans cette enceinte en vue de rendre ce projet de loi moins nuisible. Je regrette cependant qu’il y ait encore trop de sénateurs qui ne vous écoutent pas. Ce projet de loi est extrêmement compliqué, et il a été examiné et étudié par le Sénat pendant une période de temps considérable. Par conséquent, il y a plusieurs aspects du projet de loi et de la question de la radiodiffusion que j’aimerais aborder.

Je veux commencer par reconnaître ce que le gouvernement dit toujours, à savoir que ce projet de loi est la première mise à jour importante de la Loi sur la radiodiffusion en 31 ans. On nous dit que cette mise à jour est nécessaire afin d’aligner la radiodiffusion sur les changements survenus dans le domaine de la diffusion et des communications mondiales au cours des 31 dernières années, mais ces changements ne sont rien de moins que révolutionnaires. Il est loin d’être évident que le gouvernement a sa place dans ce domaine.

L’univers numérique est immensément complexe. Nous risquons de nous couvrir de ridicule si nous nous faisons croire que nous réussirons à l’encadrer sans causer plus de tort que de bien. Le projet de loi à l’étude ne porte que sur un élément de la révolution qui secoue le monde des communications depuis maintenant 31 ans, et c’est celui de la radiodiffusion.

Voici quelques chiffres qui devraient vous permettre de comprendre à quel point le milieu de la radiodiffusion est rendu complexe. En tout et pour tout, le monde compte près de 2 milliards de sites Web. Tous les jours, plus de 500 millions de gazouillis sont mis en ligne. Plus de 4,5 milliards d’éléments sont affichés seulement sur Facebook, et les usagers passent plus de 10 milliards d’heures sur les réseaux sociaux.

En 2010, soit il y a déjà plus de 10 ans, les hommes d’affaires américains Paul Sagan et Frank Thomson Leighton ont écrit dans le journal Dædalus que :

[...] Internet transforme à peu près tous les secteurs d’activité et tous les secteurs de la société, des informations aux loisirs en passant par la politique, les affaires, les communications et le commerce. L’effet d’Internet sur le journalisme n’est qu’un microcosme des vastes changements et des bouleversements induits par la révolution numérique en ligne.

Ils ont ajouté ceci :

Aujourd’hui, les nouvelles peuvent être personnalisées et interactives, et c’est le public qui décide. Les utilisateurs [...] ont une influence directe sur le discours et sur la manière dont les nouvelles sont couvertes. Et de plus en plus, ils écrivent eux-mêmes des billets sur les nouvelles dont ils sont témoins et les diffusent sans aide sur Internet [...]

Ces mots datent de plus d’une décennie.

Depuis, le domaine de la radiodiffusion a poursuivi sa transformation ultrarapide. Le projet de loi à l’étude est confronté à un défi qui est probablement insurmontable à l’échelle mondiale. Il se fonde sur la prémisse naïve selon laquelle, après 31 ans de changements révolutionnaires, le gouvernement est réellement en mesure de réglementer la radiodiffusion tel que proposé. En fait, cette mesure aura des conséquences, dont bon nombre de conséquences imprévues.

Selon Morghan Fortier, première dirigeante de Skyship Entertainment, le projet de loi C-11 a été « rédigé par des gens qui ne comprennent pas le secteur qu’ils essaient de réglementer ». C’est ce qu’ont confirmé les interventions d’autres témoins. Beaucoup de gens craignent que les conséquences imprévues du projet de loi nuisent aux créateurs et aux consommateurs canadiens.

Voici ce qu’a dit à notre comité Timothy Denton, ancien commissaire national du CRTC :

Nous nous opposons au projet de loi C-11, car il repose sur une idée fondamentalement attentatoire des communications, constitue un élargissement substantiel et indu de l’autorité gouvernementale et menace le moteur d’innovation et de croissance économique qu’est Internet.

Nous nous opposons à l’élargissement presque sans limite du pouvoir réglementaire du gouvernement sur les communications [...] hormis quelques rares exceptions, [le projet de loi] englobe pratiquement tous les documents audio et vidéo diffusés en ligne.

Malheureusement, chers collègues, les quelques amendements que notre comité sénatorial a apportés au projet de loi ne changent rien à cet élargissement excessif du pouvoir gouvernemental.

Ce qui m’inquiète le plus, honorables sénateurs, c’est l’impact que cette réglementation aura sur les petits créateurs de notre pays. Quand Len St-Aubin, ancien directeur général de la Politique des télécommunications chez Industrie Canada, a témoigné devant notre comité, il a déclaré qu’Internet est « [...] l’engin le plus dynamique en ce qui concerne l’innovation, la concurrence, la création de possibilités, la croissance économique et la créativité [...] » que nous ayons vu dans l’histoire récente. Tenter de réglementer Internet, surtout quand on s’y prend aussi maladroitement que le gouvernement, d’abord avec le projet de loi C-10 — qu’il a été forcé de retirer — et maintenant avec le projet de loi C-11 — adopté à toute vapeur à la Chambre des communes après un examen bâclé —, présente de nombreux danger.

À ce sujet, M. St-Aubin a dit ceci :

[...] c’est le CRTC, et non pas le Parlement, qui déterminera la portée du règlement et, par le fait même, la mesure dans laquelle il se répercutera sur le marché d’Internet et sur la liberté d’accès des Canadiens au contenu de leur choix.

Nous entendons régulièrement des sénateurs d’en face proclamer que le Sénat doit parler au nom des minorités politiques. Eh bien, il ne fait aucun doute qu’avec le projet de loi C-11, ce sont les petits joueurs d’un bout à l’autre du Canada, des gens comme Oorbee Roy, Vanessa Brousseau, Darcy Michael, Justin Tomchuk, J.J. McCullough, Frédéric Bastien Forrest et Scott Benzie, qui seront les plus durement touchés. Ces petits créateurs ne représentent pas les intérêts des grandes sociétés ou des grands médias. Les petits créateurs ont proposé de multiples amendements, mais peu de sénateurs prennent la parole pour se porter à leur défense.

Les sénateurs d’en face qui font partie du Comité des transports et des communications se sont opposés à la plupart des amendements que ces témoins ont proposés. Pourquoi? Dans bien des cas, je ne crois pas que c’était à cause de la teneur de leurs amendements, mais bien parce que la plupart des sénateurs nommés par le gouvernement s’étaient déjà fait une opinion au sujet de ce projet de loi bien avant qu’ils aient entendu un seul témoin.

(1500)

La plupart des amendements proposés par les témoins qui ont comparu devant notre comité ont été rejetés par la majorité nommée par le gouvernement. C’est extrêmement malheureux, car nous nous retrouvons avec un projet de loi qui comporte de graves lacunes et qui risque de nuire grandement au secteur canadien de la radiodiffusion, en particulier aux créateurs et aux consommateurs du pays.

En tout respect, les sénateurs clament haut et fort que de nombreux amendements ont été adoptés. J’admets que certains amendements positifs ont été adoptés par une mince majorité au comité, et que le leader du gouvernement était même contre certains d’entre eux. Or, voici que le moment de vérité arrive.

Le gouvernement va-t-il être disposé à écouter le Sénat au sujet des très modestes changements qui ont été apportés au projet de loi C-11, ou va-t-il simplement les rejeter du revers de la main, si modestes soient-ils?

Si le gouvernement rejette ces modestes amendements, comment les sénateurs qui ont été nommés par le gouvernement vont-ils réagir? Les sénateurs d’en face vont-ils défendre leurs principes, ou simplement baisser les bras devant la décision du gouvernement?

Dans le cadre de mes commentaires sur ce projet de loi, j’aimerais d’abord souligner sur quoi portaient certains des amendements adoptés, amendements au sujet desquels les sénateurs d’en face devront faire preuve de fermeté tandis que nous attendons la réponse du gouvernement. Je vais ensuite brièvement parler de certains des problèmes fondamentaux toujours associés à ce projet de loi, problèmes que la majorité des sénateurs membres du comité ont choisi de ne pas régler.

Permettez-moi de commencer par la question de l’inclusion du contenu généré par les utilisateurs. À ce sujet, nous avons un amendement modeste — auquel le gouvernement s’est opposé —, mais, mon avis, il ne répond pas de façon satisfaisante aux préoccupations soulevées par les témoins. L’amendement proposé par les sénateurs Simons et Miville-Dechêne élimine la référence à la réglementation du contenu qui génère directement ou indirectement des revenus. Il exigerait plutôt que si une émission a été téléversée vers une entreprise en ligne qui fournit un service de média social par le propriétaire ou le détenteur exclusif du droit d’auteur sur l’enregistrement sonore ou un mandataire du propriétaire, le CRTC en « tienne compte ».

L’amendement améliore cette disposition particulière du projet de loi par rapport à sa mouture antérieure. Cela dit, nous sommes loin de savoir si le gouvernement acceptera ne serait-ce que ce modeste amendement. Nous ne savons pas plus de quelle manière le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes tiendra compte des critères qui ont été revus.

La sénatrice Simons a dit que son amendement ferait en sorte que le projet de loi C-11 « fait ce que le gouvernement nous a dit qu’il voulait faire ». À cet égard, elle a tout à fait raison. Le ministre, lorsqu’il a comparu devant notre comité, a expressément déclaré :

Nous avons écouté les créateurs sur les médias sociaux, nous les avons écoutés, nous avons compris leurs préoccupations, et nous l’avons rétabli, avec l’exception prévue à l’article 4.2 visant le contenu commercial qui remplit les trois critères. C’est tout.

C’est ce que prétendait le gouvernement. L’amendement rapproche le texte du projet de loi des intentions déclarées du gouvernement.

J’aurais aimé que le comité aille plus loin et qu’il adopte également l’amendement au même article qui a été proposé par le sénateur Manning au comité. L’amendement du sénateur Manning aurait clairement indiqué que les trois critères énoncés au paragraphe 4.2(2) doivent être examinés conjointement; autrement dit, le CRTC ne pourrait pas choisir arbitrairement les critères. Cependant, la majorité des membres du comité ont rejeté l’amendement, ce qui est regrettable.

Nous devons maintenant voir si le gouvernement acceptera même le modeste amendement qui a été incorporé dans le projet de loi. S’il ne le fait pas, nous verrons si les sénateurs d’en face auront le courage de défendre la disposition qu’ils ont eux-mêmes jugée essentielle. Si cet amendement très modeste finit par être rejeté par le gouvernement, il sera alors clair que le gouvernement a pleinement l’intention de viser le contenu généré par les utilisateurs à l’aide du projet de loi.

Si cela se produit, le Sénat parlera-t-il au nom des nombreux Canadiens qui se sont si fortement opposés à ce point? Ou la majorité des sénateurs se contenteront-ils de baisser les bras et de déclarer que le gouvernement s’est prononcé? J’espère que la majorité des sénateurs feront preuve de détermination dans cette affaire. Ce serait effectivement une bonne journée pour le Sénat. Il y a toutefois d’autres dossiers pour lesquels la majorité des sénateurs devront s’armer de courage.

Il y a notamment la vérification de l’âge pour accéder aux programmes qui représentent des activités sexuelles explicites.

La sénatrice Miville-Dechêne a proposé cet amendement que j’estime judicieux; d’ailleurs, mon groupe l’a appuyé. Évidemment, le gouvernement s’y est opposé. Il prétend y être sympathique, mais il invoque la série d’objections habituelles, notamment des préoccupations relatives à la protection de la vie privée.

Dans le présent cas, j’estime que nous devons finalement prendre position, chers collègues, et affirmer que la priorité est de mettre les enfants à l’abri de tout contenu dommageable en ligne. L’organisme Age Verification Providers Association a présenté au comité des mémoires qui indiquent que le risque de compromettre les renseignements personnels est exagéré et que la vérification de l’âge peut se faire de façon à protéger l’identité des utilisateurs, en dissociant le processus de vérification des sites Web qui doivent vérifier uniquement l’âge et non l’identité.

À ce sujet, je signale que le leader du gouvernement assure souvent que le gouvernement est en faveur d’une proposition ou d’une autre, mais qu’il trouve toujours des raisons pour ne rien faire. De ce fait, je crains que le gouvernement ne s’oppose également à cet amendement.

Chers collègues, nous devrons faire preuve de détermination pour vaincre cette opposition, et j’espère que le moment venu, les sénateurs nommés par le gouvernement feront ce qui s’impose.

Enfin, nous devons rester fermes à l’égard de certaines questions. J’ose donc espérer que les sénateurs nommés par le gouvernement feront preuve de fermeté en ce qui concerne l’amendement adopté concernant les règles relatives au contenu canadien.

De nombreux témoins ont affirmé que ces règles manquent de souplesse et que les petits acteurs ont de la difficulté à s’y retrouver.

Oorbee Roy, qui se définit elle-même comme une petite créatrice de contenu, a évoqué les obstacles importants auxquels se heurtent les petits créateurs pour que leur contenu soit reconnu comme canadien. Elle a posé la question suivante :

Dois-je embaucher mon fils de dix ans pour m’aider à soumettre pour approbation chaque élément de contenu de planche à roulettes à titre de contenu canadien?

Encore une fois, le comité a adopté un amendement très modeste pour tenter d’inciter le CRTC à adopter une approche plus souple pour déterminer ce qui constitue du contenu canadien. Cependant, il reviendra au CRTC de décider de la manière dont cela sera mis en œuvre. Toute modification prendra également du temps. On espère cependant que cet amendement constituera un petit pas en avant pour faciliter la tâche des petits créateurs de contenu et de ceux qui soutiennent qu’une approche plus inclusive est nécessaire pour définir ce qui constitue du contenu canadien.

Là encore, le Sénat devra faire preuve de fermeté face à la réaction du gouvernement. Si la majorité choisit de plier, ces modestes améliorations apportées à la mesure législative seront perdues.

Chers collègues, j’ai mentionné trois amendements qui ont légèrement amélioré le projet de loi C-11. Cependant, le projet de loi dans son ensemble comporte toujours de graves lacunes en ce qui concerne la réforme de la radiodiffusion au Canada. Je citerai trois problèmes graves que les témoins ont soulevés.

Premièrement, le projet de loi créerait un grave problème en ce qui a trait aux obligations commerciales du Canada. Les témoignages entendus nous en donnent la certitude.

(1510)

L’ancien président du CRTC, Konrad von Finckenstein, a dit au comité que, bien que le CRTC a le pouvoir d’exiger que les entreprises effectuent des contributions à des fonds tels que le Fonds des médias du Canada, le droit aux bénéfices de ces dépenses ne devrait pas être limité à la propriété ou au contrôle canadien.

M. von Finckenstein a dit :

En vertu de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, ou ACEUM, ces restrictions, bien qu’elles soient visées par l’exception relative à l’industrie culturelle et donc techniquement acceptées, permettent à nos partenaires de prendre des mesures de représailles dont l’effet commercial est équivalent. Comme la plupart des diffuseurs de contenu se trouvent aux États-Unis, on peut s’attendre à ce que cela se produise.

D’ailleurs, les États-Unis ont déjà signalé qu’ils considèrent cela comme étant un problème.

Dans une déclaration transmise le mois dernier à la Presse canadienne, une porte-parole de l’ambassade des États-Unis, ici à Ottawa, a affirmé que des responsables américains tiennent des consultations avec des entreprises américaines sur l’incidence que le projet de loi C-11 pourrait avoir sur leurs activités. Elle a déclaré : « Nous craignons que cela [entraîne des répercussions sur les] services de diffusion en ligne et discrimine les entreprises américaines. »

De même, l’association américaine de l’industrie de l’informatique et des communications soutient :

Si le Canada adopte le projet de loi C-11 tel qu’il est actuellement rédigé, il incombera aux États-Unis d’évaluer la portée des violations probables aux règles découlant de l’ACEUM, de déterminer dans quelle mesure cela nuit à ses intérêts commerciaux et de décider des mesures appropriées qui s’imposent en réponse.

Pas plus tard qu’hier, on pouvait lire, parmi les grands titres du Globe and Mail, la mise en garde suivante : « Les États-Unis de plus en plus préoccupés par les retombées commerciales des projets de loi du Canada sur les nouvelles et la diffusion continue en ligne. »

L’imposition de mesures de rétorsion commerciales en raison de l’adoption du projet de loi C-11 n’est pas qu’une hypothèse; c’est la réalité, chers collègues. Qui fera les frais des mesures de rétorsion commerciales que pourraient prendre les Américains? C’est évident. Ce sont les entreprises et les travailleurs canadiens. La majorité des sénateurs se soucient trop peu des incidences du projet de loi. Ils ont une attitude un peu cavalière à ce sujet. C’est peut‑être parce que les sénateurs ne ressentiront pas eux-mêmes les effets du projet de loi. Ce sont d’autres qui souffriront.

Ne vous y trompez pas : ceux qui voteront pour le projet de loi au Sénat accepteront de facto les conséquences d’une guerre commerciale, mais c’est le Canadien moyen qui subira ces conséquences.

Certains se plaisent à répéter que les entreprises de diffusion étrangères doivent « payer leur dû ». Cependant, on entend rarement parler des contributions importantes que ces plateformes étrangères font au Canada en termes d’emplois et de retombées.

Garrett Levin, président et chef de la direction de la Digital Media Association a dit au comité qu’« [e]n moyenne, les services de diffusion en continu audio versent 65 à 70 % de leurs revenus en redevances ».

Nous devrions reconnaître que c’est extrêmement important.

Le mémoire présenté par l’Association cinématographique du Canada donnait quelques-uns des avantages :

Ces dix dernières années, les contributions des producteurs mondiaux ont représenté 90 % de la croissance de l’industrie du film, de la télévision et de la production en continu au Canada. Les investissements étrangers dans l’industrie représentent 6 milliards de dollars par an. En 2021, les studios de l’Association cinématographique ont dépensé plus de 2,3 milliards de dollars en biens et services locaux au Canada. Ils ont soutenu plus de 47 000 entreprises au Canada et ils ont fait vivre plus de 200 000 travailleurs dans les industries créatives canadiennes.

Or, pour une raison qui nous échappe, le gouvernement s’attend à ce que les entreprises mondiales en ligne paient encore plus et ne soient pas autorisées à accéder aux mêmes fonds lorsque leurs investissements contribuent aux industries culturelles canadiennes.

Cette question n’a pas été abordée en comité, et les amendements que nous avons proposés afin de remédier à cette faiblesse du projet de loi — par exemple, pour faire en sorte que toutes les entreprises de radiodiffusion soient également admissibles à des avantages comme le Fonds des médias du Canada — ont été rejetés.

En outre, ce projet de loi comporte une deuxième lacune importante : il ne prévoit pas d’exempter de façon claire et nette les petits fournisseurs de services de diffusion en continu de la réglementation du CRTC.

De nombreux témoins ont fait part au comité de ce problème important. Nous avons entendu des témoins qui connaissent le fonctionnement du CRTC et qui comprennent les limites pratiques de ses capacités. L’un de ces témoins était M. von Finckenstein, l’ancien président du CRTC. Comme il a très clairement déclaré au comité :

[L]e fait de se retrouver avec des pouvoirs aussi étendus, dont les paramètres sont aussi vagues, s’avérera extrêmement lourd pour le CRTC. Chaque partie prenante présentera des demandes d’exemption de conditions et fera valoir que cela relève des vastes pouvoirs accordés au CRTC. Il ne faut pas oublier que le CRTC est une cour d’archives qui cerne des problèmes, soit de son propre chef, soit par le biais de demandes; qui demande l’avis des parties et des intervenants concernés; qui tient des audiences, en direct ou sur papier; et qui rend ensuite une décision. Tout cela doit être fait dans le respect de la procédure et peut faire l’objet d’un appel judiciaire.

M. von Finckenstein a soutenu que :

[…] limiter les pouvoirs permettra au CRTC de prendre des décisions judicieuses et ciblées en temps opportun. [L]e projet de loi ne devrait viser que les grands diffuseurs en continu qui peuvent concurrencer de manière significative les diffuseurs établis.

Il a recommandé que la loi vise seulement les entreprises en ligne qui comptent plus de 100 000 abonnés au Canada ou dont les revenus générés au Canada dépassent les 100 millions de dollars.

Cependant, la majorité des membres du comité a rejeté sa recommandation. Les représentants ont soutenu que le seuil était trop élevé et que certaines entreprises — par exemple, CBC Gem — seraient exclues.

On a donc proposé des amendements pour réduire le seuil. Or, le comité a rejeté un amendement visant à fixer le seuil à 25 millions et, pas plus tard que cette semaine, mardi dernier, le Sénat a même rejeté un seuil de 10 millions de dollars.

Chers collègues, le projet de loi dont nous sommes saisis n’a donc aucune limite. Dans ce contexte, il vaut la peine de répéter ce que Konrad von Finckenstein, un ancien président du CRTC qui est bien au fait du régime réglementaire, a dit au comité sénatorial :

[...] le fait de se retrouver avec des pouvoirs aussi étendus, dont les paramètres sont aussi vagues, s’avérera extrêmement lourd pour le CRTC. Chaque partie prenante présentera des demandes d’exemption de conditions et fera valoir que cela relève des vastes pouvoirs accordés au CRTC. Il ne faut pas oublier que le CRTC est une cour d’archives qui cerne des problèmes, soit de son propre chef, soit par le biais de demandes; qui demande l’avis des parties et des intervenants concernés; qui tient des audiences, en direct ou sur papier; et qui rend ensuite une décision. Tout cela doit être fait dans le respect de la procédure et peut faire l’objet d’un appel judiciaire.

Est-ce que je donne l’impression de me répéter? Il a ajouté ce qui suit :

[...] le projet de loi ne devrait viser que les grands diffuseurs en continu qui peuvent concurrencer de manière significative les diffuseurs établis. Les petits acteurs novateurs du Web devraient pouvoir utiliser pleinement leurs capacités d’innovation pour contribuer à la productivité globale de l’économie canadienne.

Encore une fois, la majorité gouvernementale au comité sénatorial a dit « non » à la proposition de M. von Finckenstein qui visait l’établissement d’un seuil d’exemption. Ces sénateurs ont dit « non » à toutes les propositions en ce sens. En fait, ils ont plutôt adopté l’approche « nous sommes les mieux placés pour juger ».

Eh bien, je parierais qu’ils ne sont pas les mieux placés pour juger. Sans seuil d’exemption bien défini pour les petits services de diffusion en continu, ce projet de loi mènera à une incertitude encore plus grande. Même avec l’amendement sur le contenu généré par les utilisateurs qui a été adopté au comité, et même si le gouvernement accepte cet amendement, il faudra des années pour déterminer comment le CRTC appliquera ces dispositions. De toute évidence, il en résultera plus de confusion, plus d’attente, plus d’incertitude et plus de dommages potentiels pour les petits intervenants innovants d’Internet qui, jusqu’à présent, ont apporté une contribution si importante à la productivité de l’économie canadienne.

(1520)

Chers collègues, on nous a dit et répété que le CRTC n’a pas la capacité d’appliquer cette loi de manière aussi large que prévu. Un ancien président du CRTC nous l’a dit, tout comme un ancien vice‑président et un ancien commissaire national. Pourtant, d’une manière ou d’une autre, le gouvernement se croit mieux avisé. Il s’agit d’un autre élément de la mesure législative qui repose sur des hypothèses complètement irréalistes quant à la façon dont la radiodiffusion en ligne peut être réglementée.

Enfin, chers collègues, je voudrais aborder la question des dispositions relatives à la découvrabilité et à la manipulation des algorithmes.

Selon la plupart des témoins, ce sont les dispositions du projet de loi sur la découvrabilité active qui posent le plus grave problème, et c’est un problème dont la majorité gouvernementale n’a tout simplement pas tenu compte. Le projet de loi indique que le CRTC ne peut pas ordonner la manipulation des algorithmes aux fins de la découvrabilité du contenu canadien, mais, lors de son témoignage devant notre comité, l’ancien président du CRTC, Ian Scott, a dit très clairement que le CRTC établira des politiques et que leur application nécessitera une manipulation des algorithmes par les plateformes. C’est donc dire que le projet de loi permet la manipulation des algorithmes de façon détournée. C’est ce qui est ressorti clairement d’un échange entre la sénatrice Wallin et l’ancien président du CRTC au comité.

En effet, la sénatrice Wallin a dit ceci :

Vous n’allez pas manipuler les algorithmes; vous obligerez plutôt les plateformes à le faire. C’est une réglementation sous un autre nom. Que ce soit fait directement et explicitement ou indirectement, vous allez réglementer le contenu.

M. Scott a répondu tout simplement : « Vous avez raison. »

Plus tard, M. Scott a dit que le CRTC a de nombreux autres outils à sa disposition pour mettre de l’avant du contenu canadien sans recourir à la manipulation des algorithmes. Il a affirmé qu’avec tous ces outils, les plateformes n’auraient pas à manipuler les algorithmes. Dans ce cas, pourquoi le gouvernement tient-il à ce point à garder cette option dans le projet de loi? Pourquoi la majorité des sénateurs nommés par le gouvernement ont-ils rejeté tous les amendements qui ont été présentés pour que l’on doive obligatoirement manipuler les algorithmes?

Je pose cette question parce que les témoins ont été très clairs sur les implications probables de cette mesure.

Selon J. J. McCullough, qui a témoigné devant le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes le printemps dernier, la manipulation des algorithmes signifie que :

Du jour au lendemain, les créateurs vont se réveiller et découvrir que le type de contenu qui avait auparavant du succès dans un YouTube non réglementé n’en a plus dans un YouTube réglementé. Par conséquent, ils devront changer la nature de leur contenu afin de le rendre plus ouvertement canadien — peu importe ce que cela signifie —, ou ils pourraient être désavantagés. Cela pourrait signifier que leur audience, et donc leurs revenus, en prendrait un coup. C’est quelque chose qui, je pense, inquiète beaucoup de créateurs sur YouTube.

Chers collègues, il n’est guère surprenant que les créateurs s’inquiètent de voir leur audience et leurs revenus en prendre un coup. Après tout, c’est de leur gagne-pain qu’il s’agit.

Lorsque Scott Benzie, directeur général de Digital First Canada, s’est adressé à notre comité, il a déclaré que le projet de loi :

[...] doit indiquer clairement que les modifications dynamiques des algorithmes sont exclues, car les modifier, c’est compromettre les entreprises canadiennes et l’accès à leur public.

Matthew Hatfield, directeur des campagnes d’OpenMedia, a proposé une solution que de nombreux autres témoins ont approuvée. M. Hatfield a dit :

[...] le projet de loi C-11 ne doit pas permettre au CRTC de manipuler les résultats des algorithmes sur les plateformes. Jamais nous ne tolérerions que le gouvernement édicte des règles indiquant quels livres doivent être disposés dans les vitrines de nos magasins ou le genre d’articles qui doivent figurer en première page de nos journaux. Mais c’est exactement ce que fait le paragraphe 9.1(1) sur le plan de la découvrabilité actuellement.

Quelles seront les conséquences si nous négligeons de régler cette question?

Justin Tomchuk, un cinéaste indépendant, a dit au comité :

Si le projet de loi C-11 nuit à la découvrabilité des créateurs canadiens à l’échelle mondiale, je peux imaginer un scénario où certaines entreprises ayant peu de liens physiques quitteront le pays purement et simplement afin de pouvoir continuer de travailler sans être gênées par ces obligations agressives.

Chers collègues, M. Tomchuk dit que toute la création dynamique dont nous avons été témoins au Canada au cours des 30 dernières années pourrait être en danger. Pourquoi diable ferions‑nous cela?

Malgré tous les témoignages que nous avons entendus, le gouvernement et la majorité des sénateurs nommés par le gouvernement au sein du comité ont tout simplement refusé d’aborder le problème. Cela rend ce projet de loi tout simplement irrécupérable.

Chers collègues, cela me ramène à mon point de départ, c’est‑à‑dire aux conséquences possibles du projet de loi. Compte tenu des témoignages que nous avons entendus, je me demande si même un seul sénateur dans cette enceinte peut prédire — avec une quelconque certitude — quelles seront les conséquences du projet de loi.

J’ai le plus grand respect pour le sous-ministre adjoint associé Thomas Owen Ripley, qui a assisté patiemment à l’étude article par article du projet de loi. Selon moi, il comprend mieux que quiconque les dispositions qui s’y retrouvent, mieux en tout cas que la plupart des gens. Cela dit, je n’irais pas jusqu’à dire qu’il pourrait affirmer avec certitude qu’il connaît l’effet que cette mesure législative pourrait avoir.

Cela me ramène à ce que disait la copropriétaire et PDG de Skyship Entertainment, Morghan Fortier. Selon elle, le projet de loi C-11 « a été rédigé par des gens qui ne comprennent pas le secteur qu’ils essaient de réglementer ».

C’est ce qui m’inquiète le plus.

La révolution qui a frappé le monde ces 30 dernières années a chamboulé notre manière de communiquer, mais aussi la manière dont le contenu est diffusé. Il s’agit d’une révolution planétaire. Les Canadiens en ont beaucoup profité, notamment parce qu’ils évoluent dans un cadre à peu près pas réglementé. Aujourd’hui, le gouvernement cherche à s’immiscer dans ce cadre, mais de nombreux témoins nous ont répété que ce projet de loi pourrait causer un tort immense aux créateurs et aux consommateurs d’ici. Selon eux, il pourrait cause une guerre commerciale avec notre principal partenaire commercial.

Chers collègues, je réitère la position de mon parti à propos de ce projet de loi : si le but du projet de loi était d’intégrer les services de diffusion en continu dans le système traditionnel canadien de radiodiffusion et d’exiger uniquement que les plateformes en ligne contribuent davantage aux industries culturelles canadiennes, alors le projet de loi devrait être centré sur cet aspect, et rien d’autre. Sous sa forme actuelle, le projet de loi crée énormément d’incertitude et donne le pouvoir au CRTC de réglementer à outrance. Quoique les conséquences sont imprévisibles, il est fort à parier qu’elles mèneraient à un échec.

Bien que le projet de loi ait été légèrement amélioré par notre comité, nos amendements ne suffisent pas. C’est pourquoi, chers collègues, j’aimerais proposer un nouvel amendement au sujet d’un point que j’ai soulevé plus tôt : l’incertitude de savoir si le contenu généré par l’utilisateur est exclu ou non des paramètres du projet de loi.

Chers collègues, nous ne pouvons pas laisser cette question sans réponse, dans le néant de l’ambiguïté. Si cet amendement était adopté, cela procurerait une plus grande clarté pour tous les créateurs, administrateurs de plateformes et autorités de réglementation.

(1530)

Je vous prie de m’excuser si je répète des propos que j’ai tenus plus tôt, mais je tiens à m’assurer que vous compreniez toute l’importance de cet amendement. Vous avez souvent entendu, dans cette enceinte, que le gouvernement affirme que le projet de loi ne couvre pas le contenu produit par les utilisateurs. Des témoins qui ont comparu devant le comité n’en étaient toutefois pas convaincus. Je ne le suis pas moi non plus.

Le comité a finalement adopté un amendement proposé par les sénatrices Simons et Miville-Dechêne, qui visait à concentrer l’article 4.2 du projet de loi sur ce qu’elles appellent la « musique professionnelle », et ce, « sans restreindre indûment la latitude du CRTC », comme l’a dit la sénatrice Miville-Dechêne.

Cet amendement a supprimé la disposition qui dit « génère des revenus de façon directe ou indirecte ». Les sénatrices ont soutenu que les médias sociaux seraient désormais exclus. Rappelons toutefois, comme certains l’ont déjà fait, que c’est au CRTC que reviendra la tâche de superviser les dispositions de la loi. Il conservera un pouvoir discrétionnaire considérable.

Parmi les créateurs de contenu numérique qui ont témoigné devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, peu se sont dits très confiants à l’idée que le CRTC puisse bénéficier d’un vaste pouvoir discrétionnaire.

Lorsqu’elles ont proposé leurs amendements, les sénatrices Simons et Miville-Dechêne ont précisé que ceux-ci ne restreindraient pas indûment la latitude du CRTC, mais c’est justement cette latitude qui inquiète beaucoup de gens. De nombreux témoins se sont dits préoccupés par toute la latitude que ce projet de loi laisserait au CRTC; les créateurs de contenu numérique qui ont témoigné ont tous exprimé de vives inquiétudes à ce sujet.

C’est pour cette raison que Monica Auer, la directrice exécutive du Forum for Research and Policy in Communications, a dit au comité en septembre que les articles 4.1 et 4.2 devraient être complètement retirés du projet de loi. Je suis certain que la plupart des créateurs de contenu en ligne accueilleraient très favorablement ce retrait.

Chers collègues, rappelons-nous que si le gouvernement n’accepte pas notre amendement, il peut nous le renvoyer.

Nous avons une obligation, chers collègues, de faire ce qui s’impose. Nous n’avons pas d’obligation de soutenir le gouvernement quand il nous dit une chose et en fait une autre. C’est à lui de décider s’il accepte ou non l’amendement. Nous aurons l’occasion d’en traiter de nouveau. Chers collègues, à mon avis, l’amendement est raisonnable. J’ose espérer que tous les sénateurs l’appuieront.

Rejet de la motion d’amendement

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-11, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau, à l’article 4 (dans sa version modifiée par décision du Sénat le 14 décembre 2022) :

a) à la page 9, par suppression des lignes 34 à 40;

b) à la page 10, par suppression des lignes 10 à 33.

Merci, chers collègues.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur le Président : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? Une heure? Le vote aura lieu à 16 h 34. Convoquez les sénateurs.

(1630)

La motion d’amendement de l’honorable sénateur Plett, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Batters Patterson (Nunavut)
Black Patterson (Ontario)
Boisvenu Plett
Carignan Richards
Housakos Seidman
MacDonald Verner
Martin Wallin
Oh Wells—16

CONTRE
Les honorables sénateurs

Arnot Gagné
Bellemare Galvez
Bernard Gerba
Boehm Gignac
Boniface Greene
Bovey Greenwood
Burey Harder
Campbell Klyne
Cardozo Kutcher
Clement LaBoucane-Benson
Cormier Loffreda
Cotter Mégie
Coyle Miville-Dechêne
Dagenais Moncion
Dalphond Omidvar
Dasko Osler
Dawson Pate
Dean Ravalia
Downe Saint-Germain
Duncan Simons
Forest Sorensen
Francis Woo—44

ABSTENTION
L’honorable sénatrice

McCallum—1

(1640)

[Français]

Projet de loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées

Projet de loi modificatif—Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu, accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Gagné, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après‑demain.)

Projet de loi sur la diffusion continue en ligne

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dawson, appuyée par l’honorable sénatrice Bovey, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, tel que modifié.

L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en faveur de l’adoption à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-11, dont le titre abrégé est Loi sur la diffusion continue en ligne. Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles je m’adresse à vous font partie du territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe.

L’objectif du projet de loi C-11 est clair, et je crois qu’il est important de le rappeler à cette étape-ci. Il a pour objectif d’inclure les diffuseurs en ligne dans le champ d’application de la Loi sur la radiodiffusion, afin qu’ils contribuent à notre système canadien de radiodiffusion et qu’ils assurent la découvrabilité du contenu canadien.

Bien que cet objectif puisse être résumé simplement, les enjeux complexes qu’il sous-tend vont bien au-delà de ces quelques lignes. En effet, le projet de loi C-11 est l’un des premiers jalons que pose le Canada dans le but d’adapter ses politiques culturelles à l’ère du numérique, et il nous donne un avant-goût du défi d’envergure que cela comporte.

[Traduction]

J’aimerais remercier mes collègues du Comité sénatorial permanent du Transport et des Communications d’avoir communiqué leurs points de vue et d’avoir posé des questions tout au long de l’étude. Ce fut un véritable second examen objectif qui nous a permis d’aborder et d’explorer bon nombre des questions qui ont trait à cet important projet de loi et de proposer des amendements très pertinents, sans parler des nombreux témoins qui ont comparu devant le comité et des gens qui ont soumis des mémoires. Leur ferveur et leur engagement à l’égard du projet de loi C-11 témoignent de la vitalité de notre démocratie.

[Français]

Bien qu’il ne soit pas parfait, le projet de loi C-11 procure des gains importants pour notre écosystème culturel et la société canadienne, le principal étant celui de l’équité qu’il crée entre les entreprises de radiodiffusion canadiennes dites traditionnelles et les entreprises de diffusion en ligne canadiennes et étrangères.

L’autre avancée importante, c’est qu’il actualise la façon dont la diversité canadienne et sa représentativité sont identifiées et prises en compte par le système canadien de radiodiffusion. En corrélation avec cette équité et cette diversité, je parlerai dans cette allocution de certains points techniques du projet de loi qui soutiennent ces deux aspects et je mettrai en relief quelques amendements adoptés par le comité qui permettent de les renforcer.

[Traduction]

Pour commencer, le projet de loi modifie la politique en matière de radiodiffusion afin d’inclure dans le système canadien de radiodiffusion les entreprises étrangères, y compris les entreprises en ligne, qui offrent une programmation aux Canadiens et d’exiger de ces entreprises qu’elles contribuent à la mise en œuvre et aux objectifs de la politique du Canada en matière de radiodiffusion.

Plus d’un témoin entendu lors de notre étude s’est dit sceptique quant à l’idée de mettre les entreprises étrangères et canadiennes sur un pied d’égalité en ce qui concerne les contributions au système canadien de radiodiffusion. Des doutes ont aussi été émis au sujet de l’exception qui pourrait permettre d’inclure les médias sociaux dans le système de radiodiffusion.

En réponse à ces doutes, les sénatrices Simons et Miville-Dechêne ont proposé un important amendement. Cela dit, il est important de se rappeler, chers collègues, que la Loi sur la radiodiffusion donne au CRTC un cadre de réglementation et de surveillance de l’industrie et qu’un cadre trop rigide ne permettrait pas d’évoluer en même temps que les nouvelles technologies, par exemple.

Il est également important de se rappeler que le CRTC a le pouvoir de régir les plateformes, pas les personnes.

En outre, l’expertise du CRTC et les consultations qu’il mènera avant la mise en œuvre du projet de loi C-11 lui permettront de moduler les obligations de chaque type d’entreprises. D’ailleurs, pour l’exercice de ses pouvoirs de réglementation et de supervision, le CRTC doit — c’est à l’alinéa 5(2)a)(a.1) :

[...] tenir compte de la nature et de la diversité des services fournis par les entreprises de radiodiffusion, de même que de leur taille, de leur impact sur l’industrie canadienne de création et de production, particulièrement en ce qui concerne l’emploi au Canada et la programmation canadienne, de leur contribution à la mise en œuvre de la politique canadienne de radiodiffusion et de toute autre caractéristique pouvant être pertinente dans les circonstances [...]

En d’autres termes, une petite plateforme en ligne émergente et indépendante ne serait probablement pas soumise à la réglementation, alors qu’une grande plateforme détenant une part importante du marché canadien le serait.

[Français]

Tout en saluant les avancées considérables de ce projet de loi sur le plan de l’équité, force est de constater que cette équité est bien imparfaite. Les alinéas 3(1)f) et 3(1)f.1), qui traitent de l’utilisation des ressources humaines canadiennes dans la création de la programmation canadienne, imposent un critère moins exigeant pour les entreprises étrangères. Ce sont d’ailleurs les seuls articles où le projet de loi effectue une telle différence de traitement entre ces deux types d’entreprises.

Dans son mémoire et dans son témoignage devant le comité, la Coalition pour la diversité des expressions culturelles, qui représente 50 organisations culturelles de tout le pays, nous a mis en garde sur les dangers du régime à deux vitesses que créent les alinéas 3(1)f) et 3(1)f.1). Ces alinéas envoient au CRTC le message qu’il est acceptable de réduire les exigences d’utilisation des talents canadiens pour les entreprises étrangères, ce qui a pour effet d’amoindrir l’objectif premier du projet de loi.

Cette inquiétude a retenu mon attention tout au long de l’étude au comité, et c’est la raison pour laquelle j’ai présenté un amendement qui offre une solution en uniformisant le critère d’utilisation des ressources humaines, tout en laissant de la latitude au CRTC dans sa mise en œuvre.

Malheureusement, cet amendement n’a pas été retenu par le comité et je ne le représenterai pas à l’étape de la troisième lecture. Cela dit, je souhaite tout de même partager avec vous, chers collègues, cet important élément du projet de loi qui soulève beaucoup d’inquiétude au sein de l’industrie quant à ses possibles répercussions à l’avenir.

Sur une autre note, grâce aux témoignages de l’Union des artistes, de l’Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists et de plusieurs autres, l’étude du comité aura permis de déceler une grave iniquité dans l’article 31.1 du projet de loi, qui rendait la Loi sur le statut de l’artiste inapplicable aux entreprises en ligne. Cette disposition aurait eu un impact désastreux sur les conditions de travail des artistes embauchés par les plateformes de diffusion en ligne et aurait entraîné des conséquences néfastes sur des ententes existantes.

Heureusement, le comité a adopté un amendement pour régulariser le profond déséquilibre qu’aurait provoqué une telle disposition pour les artistes canadiens. Encore une fois, je remercie les sénateurs et sénatrices de m’avoir appuyé lorsque j’ai présenté cet amendement.

Il y a un autre gain important : le projet de loi C-11 actualise la façon dont la diversité canadienne et sa représentativité sont identifiées et prises en compte dans le système canadien de radiodiffusion. Voici quelques exemples.

Comme d’autres collègues l’ont mentionné, le projet de loi reconnaît pour la première fois que la programmation autochtone, reflétant les cultures et les langues autochtones, devra être fournie par des entreprises de radiodiffusion exploitées par des Autochtones. Il s’agit d’un principe inspiré de l’article 16 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Je remercie sincèrement la sénatrice Clement de ses amendements, qui ont permis de bonifier le texte du projet de loi en assurant une meilleure reconnaissance des peuples et des langues autochtones.

Voici un deuxième exemple : la reconnaissance des communautés qui représentent la diversité par leur orientation sexuelle, identité ou expression de genre. En effet, le système de radiodiffusion devra, au moyen de sa programmation et des offres qu’il suscite en matière d’emploi, répondre à leurs besoins et à leurs intérêts et refléter leurs conditions de vie et leurs aspirations.

(1650)

Voici un autre exemple : la présence de dispositions qui établissent que le système canadien de radiodiffusion doit tenir compte des besoins et intérêts des communautés noires et autres communautés racisées, en soutenant notamment leurs productions.

Enfin, le projet de loi C-11 ajoute d’importantes dispositions en ce qui a trait aux communautés de langue officielle en situation minoritaire. J’applaudis le fait que le CRTC devra désormais consulter les communautés de langue officielle en situation minoritaire lorsqu’il prendra toute décision susceptible d’avoir sur elles un effet préjudiciable, conformément à certains critères énumérés dans la loi.

Cette disposition est capitale pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire, comme l’ont fait valoir devant le comité la Fédération culturelle canadienne-française, l’Alliance des producteurs francophones du Canada, le Quebec English-language Production Council et l’Alliance nationale de l’industrie musicale.

C’est d’ailleurs en écoutant ces témoignages et plusieurs autres, dont celui de Me Monica Auer, directrice générale du Forum for Research and Policy in Communications, que des préoccupations ont ressurgi plus globalement au sein du comité quant aux liens qu’entretient le CRTC avec la société civile et à la transparence liée à l’exercice de ses pouvoirs.

Le comité a pris en considération ce besoin de transparence en adoptant l’amendement que j’ai proposé, qui étend les audiences publiques à la prise d’ordonnances et de règlements du CRTC, sauf s’il est estimé que l’intérêt public ne l’exige pas.

Bien qu’il soit positif, cet amendement est toutefois loin de régler la question. Il faudra trouver à l’avenir de meilleurs processus pour assurer la transparence et la reddition de comptes dans les décisions du CRTC.

[Traduction]

Les problèmes associés à la propriété intellectuelle et à la notion de contenu canadien ont été amplement discutés par le comité. Dans sa forme actuelle, la définition de ce qui constitue du contenu canadien a été vertement critiquée par plusieurs, qui y voient un risque pour les investissements étrangers.

Grâce à son expertise dans le domaine de la programmation canadienne, Valerie Creighton, présidente et cheffe de la direction du Fonds des médias du Canada, a dit ceci au comité :

[...] si nous continuons de voir la production étrangère de services comme entièrement canadienne, tous les droits sont détenus par des sociétés étrangères et les revenus appartenant en majorité à cette production sortent du pays. Nos producteurs et créateurs de contenu deviennent une industrie de services pour les sociétés étrangères. Il faut trouver un juste équilibre. Ce ne peut pas être tout un ou tout l’autre.

Pour poursuivre dans la même veine, il faut absolument rappeler que les investissements étrangers ne s’opposent pas à une définition rigoureuse du contenu canadien.

La propriété intellectuelle des créateurs canadiens doit demeurer intacte. Cette notion sera au cœur de l’exercice de définition du contenu canadien, qui prendra la forme d’un règlement, et qui nécessitera un examen aussi soigneux qu’attentif de la part du CRTC.

À ce sujet, nous devrons aussi faire très attention à la directive que le gouverneur en conseil transmettra au CRTC une fois le projet de loi C-11 adopté.

[Français]

En conclusion, chers collègues, je dirais qu’au-delà des enjeux spécifiques qui ont été soulevés et des amendements qui ont été proposés, l’étude du projet de loi C-11 soulève des questions fondamentales sur notre conception de la culture canadienne et sur le rôle de l’État canadien dans le soutien et la promotion de celle-ci.

Pour certains, les arts et la culture semblent assimilés à de simples produits de consommation. Conséquemment, ils traitent essentiellement la relation entre le citoyen et la culture comme une relation entre un consommateur et un produit. La loi du libre marché est la seule qui semble prévaloir.

Pour d’autres — et j’en fais partie —, les artistes et leurs créations doivent être traités comme des manifestations tangibles d’un dialogue dynamique entre le citoyen et les œuvres, et ce, tant sur nos scènes, musées, librairies et cinémas que sur les plateformes en ligne. C’est surtout avec ce regard que j’ai examiné le projet de loi.

Si nous souhaitons réellement respecter les auditoires, chers collègues, nous devons les encourager à découvrir de nouvelles œuvres. Il est faux de croire qu’en donnant au public uniquement ce qu’il veut, nous atteindrons nos objectifs en matière de politique culturelle. Il y a, en cette matière, un juste équilibre à atteindre.

Devant une œuvre, qu’elle soit offerte en direct, radiodiffusée ou en diffusée en mode virtuel, l’auditoire n’est pas passif; bien au contraire. C’est le début d’un processus citoyen et d’interactions qui participent activement à notre démocratie. Le public a le droit d’avoir accès à de nouvelles œuvres, et l’État canadien a le devoir et la responsabilité de favoriser cette accessibilité.

J’applaudis le succès des créateurs de contenu en ligne qui ont réussi à atteindre leur auditoire, et je les félicite de leur créativité et de leur succès économique. Or, ce n’est pas le cas de tous les créateurs. Le projet de loi C-11 cherche à soutenir encore davantage les créateurs d’ici et la diffusion de leurs œuvres dans l’univers du numérique. Il s’agit d’un pas important pour l’amélioration de nos politiques culturelles.

Si le Canada possède tant d’artistes talentueux aujourd’hui, si leurs œuvres rayonnent sur les scènes nationales et internationales, contribuant à accroître l’impact du Canada dans le monde, ce n’est pas uniquement grâce à leur talent. Les artistes canadiens ont du succès et rayonnent ici et à l’échelle internationale grâce à leur talent, bien sûr, mais aussi grâce au soutien de l’État canadien et à une réglementation qui permet d’encadrer la diffusion et l’accès à leurs œuvres. Ce n’est pas de la censure, ce n’est pas de l’idéologie, c’est du soutien.

Aujourd’hui, grâce au projet de loi C-11, nous reconnaissons et applaudissons la contribution des entreprises de diffusion en ligne étrangères à notre système de radiodiffusion.

Cela dit, ces entreprises qui œuvrent sur notre territoire et qui profitent du talent de nos créateurs canadiens doivent jouer selon nos règles. Il en va de notre souveraineté culturelle.

En d’autres mots, si tu viens sur notre patinoire et si tu embauches nos meilleurs joueurs, comme Gino Odjick, tu joues selon nos règles, point à la ligne.

Chers collègues, permettez-moi de conclure cette allocution en citant une ancienne collègue qui nous a quittés récemment, cette artiste acadienne remarquable que fut Mme Viola Léger. Elle affirmait ce qui suit dans son dernier discours dans cette Chambre, et je cite :

La culture canadienne est le fruit de l’union de cultures et de traditions différentes, aussi riches les unes que les autres. Nos traits distinctifs sont enrichis par la contribution des cultures autochtones et des autres traditions culturelles qui se sont ajoutées graduellement. Notre mode de vie est occidental, nord-américain et à la fois autochtone, ukrainien, pakistanais, sénégalais, acadien, irlandais et autre. [...]

Nous sommes un pays nordique, de froids extrêmes et de plusieurs saisons. Notre milieu intellectuel puise sa force dans l’extraordinaire synergie d’hommes et de femmes venus de partout pour participer au grand projet collectif qu’est le Canada. L’uniformité n’est pas ce qui nous caractérise. Nous sommes la diversité même, mais nous avons en commun notre attachement à nos valeurs, qui sont une importante dimension de notre culture.

C’est bien cela qui m’anime, chers collègues.

Je suis conscient que l’adoption de ce projet de loi n’est que le début d’une conversation que notre Chambre devra poursuivre en matière culturelle, et cela me réjouit grandement. Je nous invite à adopter dès aujourd’hui le projet de loi C-11, afin que les créatrices et créateurs canadiens puissent continuer de rayonner sur nos écrans, et que les plateformes en ligne étrangères qui ont accès à notre territoire soient conscientes de la chance incommensurable qu’elles ont de pouvoir compter sur des artistes canadiens talentueux et travaillants.

Je vous remercie.

[Traduction]

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, le moins que l’on puisse dire, c’est que cette mesure législative est controversée. J’aimerais commencer sur une note positive en soulignant deux points sur lesquels je crois pouvoir dire, sans me tromper, que nous nous entendons tous : premièrement, la Loi sur la radiodiffusion a désespérément besoin d’être modernisée, et deuxièmement, le Canada possède une riche culture et un incroyable bassin d’artistes qui devraient pouvoir faire connaître leurs talents au monde entier.

Je ne suis pas d’accord avec le gouvernement et certains de mes collègues quant à la façon d’atteindre ces objectifs sans compromettre la notion de choix individuel qui est liée à l’essence même d’Internet.

Dans le monde numérique, les créateurs, les artistes et les consommateurs se heurtent à peu ou pas d’obstacles. C’est ce qui fait le charme de cet univers.

C’est une question de choix. Internet offre aux créateurs et aux consommateurs des possibilités illimités de contact en fonction de leurs choix individuels.

Mieux encore, les choix faits par une personne n’empêchent pas une autre personne de voir le contenu de sa préférence ou de son choix. Le succès d’un créateur ne se fait pas aux dépens d’un autre. Voilà la différence entre Internet et les services de radiodiffusion traditionnels. C’est peut-être ce que nous, les boomers, avons le plus de mal à comprendre et à accepter.

C’est le grand problème de ce texte. Le gouvernement et les bureaucrates qui ont rédigé le projet de loi — et, très franchement, beaucoup d’entre nous dans cette Chambre — continuent de considérer à tort Internet comme une forme de radiodiffusion. C’est loin d’être le cas. Il est impératif, dans le cadre de notre travail ici, que nous saisissions bien les différences.

(1700)

Dans le cadre de notre étude préalable au comité, Vivek Krishnamurthy, de l’Université d’Ottawa, a dit ceci :

Il y a une limite au spectre [...] accessible à la radiodiffusion linéaire ou à la largeur de bande accessible à une connexion câblée traditionnelle, de sorte que certains types de restrictions en matière de contenu sont plus justifiés lorsqu’il est question de radiodiffusion plutôt que de diffusion sur Internet [...]

Il a ensuite indiqué qu’il n’y a aucune pénurie de spectre dans le monde virtuel, et qu’une personne peut donc voir autant de vidéos de chats qu’elle le veut sur une plateforme sans que cela ait une incidence sur la capacité d’autres personnes de voir également d’autres contenus en ligne.

Contrairement à la radiodiffusion traditionnelle, qui est limitée par le temps et les cases horaires disponibles dans une journée, la diffusion en ligne offre des possibilités de diffusion illimitées, et comme je l’ai dit, lorsqu’une personne a du succès, ce n’est pas aux dépens d’une autre personne, comme dans le cas de la radiodiffusion traditionnelle.

Au lieu de moderniser véritablement la Loi sur la radiodiffusion pour l’adapter aux réalités du monde numérique, ce projet de loi ne tient pas compte des réalités de l’ère numérique et vise à apporter des solutions à des problèmes qui n’existent plus.

Le projet de loi C-11 remet en place des limites et des barrières et perpétue un système de sélection des gagnants et des perdants en dictant, en fonction de facteurs autres que les préférences et les choix individuels des utilisateurs, ce que les Canadiens devraient afficher et ce qu’ils verront. Je ne fais pas fausse route en avançant cette idée; c’est justement l’objectif de ce projet de loi. Ce projet de loi aura une incidence sur ce qui apparaîtra sur les fils des utilisateurs canadiens — de nous tous. C’est le fondement même du projet de loi. Le gouvernement a clairement indiqué que c’était son objectif.

Tous les députés qui se sont prononcés en faveur de ce projet de loi ont reconnu que c’était là son objectif, c’est-à-dire s’assurer que les entreprises en ligne promeuvent et mettent en valeur le contenu en fonction de critères établis par le gouvernement par l’entremise de son organisme de réglementation.

Plutôt que ce soient les consommateurs qui décident de ce qui apparaîtra dans leur fil, ce sera le gouvernement, les bureaucrates du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et d’autres chiens de garde qui ne veulent pas perdre leur emprise sur le pouvoir de choisir les gagnants et les perdants dans le cadre d’une structure qui, nous l’avons reconnu, est archaïque et défaillante.

Ce faisant, nous prendrons les industries dans lesquelles les créateurs canadiens prospèrent actuellement, et nous les tirerons vers le bas. Pourquoi? Si vous croyez vraiment, chers collègues, comme le sénateur Dawson, que les histoires canadiennes, la culture canadienne, la musique canadienne et les créateurs canadiens ont besoin de l’intervention du gouvernement pour prospérer à l’ère numérique, je dirais que vous n’écoutez pas.

Je comprends la principale raison d’être de ce projet de loi, une réaction instinctive visant à protéger notre souveraineté culturelle et à s’assurer que les sociétés étrangères de diffusion en continu qui fonctionnent comme des radiodiffuseurs et qui tirent des revenus du marché canadien « paient leur juste part ».

Cela peut sembler louable. Le problème c’est que je n’y crois pas. Je ne crois pas que cela soit nécessaire, et je ne crois pas que ce soit là ce qui motive véritablement ce projet de loi.

Pour faire écho aux propos du sénateur Dawson — ou peut-être que c’est l’inverse —, le ministre responsable de ce dossier, Pablo Rodriguez, voudrait nous faire croire que notre industrie cinématographique et télévisuelle perd de l’argent, se privant ainsi d’un manque à gagner imaginaire d’un milliard de dollars. Je dis « imaginaire », chers collègues, car ni le ministre ni son ministère n’ont été en mesure de justifier la provenance de ce chiffre. Il s’agit donc d’un chiffre pour le moins fictif.

Cela n’a pas empêché le parrain du projet de loi, plus tôt cette semaine, de nous livrer sa meilleure imitation d’Oprah Winfrey, en promettant tout et n’importe quoi à tout le monde.

C’est un fait, les radiodiffuseurs conventionnels au Canada voient leurs revenus diminuer et, par conséquent, des organisations comme le Fonds des médias du Canada ne reçoivent plus les mêmes montants qu’auparavant. L’argent se fait rare, chers collègues.

Cependant, l’idée que les diffuseurs étrangers ne paient pas leur juste part est aussi inexacte que le mythe d’une manne miraculeuse de milliards de dollars une fois le projet de loi adopté. L’investissement dans les productions canadiennes, dans la culture canadienne et dans les récits canadiens ne se tarit pas. Au contraire, chers collègues, l’investissement est bien présent. C’est juste qu’il n’emprunte plus le chemin le plus tortueux, le plus long et le plus sinueux. Les mesures de contrôle sont écartées du processus.

Je pourrais dire qu’en supprimant les intermédiaires et les mesures de contrôle qui décident des gagnants et des perdants, les artistes et les créateurs eux-mêmes gagnent plus d’argent. Ce n’est pas une mauvaise chose et ce devrait être notre objectif.

Selon Wendy Noss de l’Association cinématographique du Canada, cette association a dépensé plus de — écoutez bien ce chiffre — 5 milliards de dollars à l’échelle du Canada en 2021 seulement, ce qui représente plus de la moitié de la production au pays et 90 % de la croissance du secteur au cours de la dernière décennie. Cette association a embauché 200 000 des créateurs les plus talentueux du Canada, en plus de les former et de leur procurer des débouchés, et elle a soutenu plus de 47 000 entreprises rien qu’en 2021. Chers collègues, cela dépasse tellement les retombées des sociétés soutenues par l’État comme CBC/Radio-Canada que cela devrait nous faire tous réfléchir.

Notre comité a appris qu’à l’heure actuelle, dans l’industrie cinématographique pancanadienne, il n’y a pas assez de gens pour occuper les emplois. À l’instar de presque tous les autres secteurs, l’industrie cinématographique est aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre.

Cependant, malgré les réussites et les retombées économiques impressionnantes de ces entreprises au Canada, le gouvernement leur demande de contribuer davantage à notre système paternaliste qui soutient les entreprises d’ici. Pendant ce temps, les radiodiffuseurs canadiens bénéficient d’avantages et de protections que les diffuseurs étrangers n’auront pas, même s’ils contribuent à la même cagnotte. Peut-on alors parler de règles équitables, chers collègues? Peut-on parler d’une bonne approche législative en matière de radiodiffusion et de communications?

Ce n’est certainement pas l’avis du gouvernement américain, comme l’a expliqué le sénateur Plett plus tôt. En fait, ses inquiétudes au sujet de la mesure législative et du fait qu’elle va à l’encontre de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique sont loin d’être apaisées : elles semblent prendre de l’ampleur. On rapporte que le sujet pourrait même faire l’objet de discussions lors de la première visite officielle du président Biden au Canada. Ce n’est pas un point à négliger, chers collègues. C’est très sérieux.

Si les États-Unis prennent des mesures de représailles contre le Canada, quelles industries en souffriront? Voilà la question. Il ne s’agirait plus seulement de choisir des gagnants et des perdants dans notre secteur culturel; d’autres secteurs de l’économie canadienne seraient aussi touchés.

Alors, comment se fait-il que la définition désuète de ce qu’est le contenu canadien soit aussi problématique?

Contrairement aux radiodiffuseurs conventionnels au Canada, qui ont l’avantage d’utiliser des émissions sportives et d’actualités locales pour satisfaire à leurs exigences minimales de contenu canadien, les diffuseurs en ligne œuvrent à l’échelle mondiale et ils ne peuvent pas faire cela. Parallèlement, ces diffuseurs ne sont pas reconnus pour les investissements qu’ils font dans la production d’histoires canadiennes et dans le soutien aux artistes canadiens, car la propriété intellectuelle est un facteur déterminant des exigences de contenu canadien.

S’il s’agit vraiment pour les diffuseurs étrangers de payer leur juste part et d’investir au Canada l’argent qu’ils gagnent sur le marché canadien, pourquoi les millions de dollars qu’une société de production ou de diffusion étrangère est prête à investir pour raconter une histoire canadienne et employer des artistes, des scénaristes, des acteurs, des producteurs, des monteurs, des cameramen et des techniciens de son canadiens ne sont-ils pas suffisants à moins qu’ils ne cèdent également la propriété du produit?

Au final, n’est-ce pas formidable que des investisseurs étrangers de Californie, de Paris ou de Londres veuillent venir au Canada et investir dans la culture canadienne? N’est-ce pas stimulant? N’est‑ce pas un succès dont nous devons nous inspirer?

C’est sans compter l’argent qu’ils injectent souvent dans l’économie des villes canadiennes. Combien de nos villes et régions du pays ont enregistré des profits directs grâce à l’industrie cinématographique qui est en plein essor? Des documentaires, des films, des productions de toutes sortes se tournent partout au pays. Sans compter les retombées touristiques dues à la visibilité que certaines régions de notre pays obtiennent dans le monde entier.

La question n’est pas de protéger ou de promouvoir la culture et les artistes du Canada, mais plutôt de protéger les grands diffuseurs du pays. Chers collègues, soyons honnêtes : c’est bien de cela qu’il s’agit. Si nous ne l’avons pas encore compris, il est temps de le faire. Il s’agit de protéger le statu quo. Il s’agit des gens qui occupent les grands bureaux chez Bell Média, Rogers et Québecor.

Nous avons adopté au comité un amendement qui vise à moderniser la définition désuète du contenu canadien. L’amendement dit qu’on ne doit pas définir le contenu canadien en fonction d’un seul facteur, comme la propriété intellectuelle. J’encourage fortement le gouvernement à faire ce qui s’impose pour la culture et les récits canadiens en adoptant cet amendement.

Chers collègues, nous avons entendu parler en comité du cas de La servante écarlate, une histoire écrite par une célèbre auteure canadienne, tournée au Canada avec des acteurs et des réalisateurs canadiens et ainsi de suite, qui n’est pas considérée comme étant du contenu canadien. Voyons donc. Une histoire de Margaret Atwood ne serait pas considérée comme étant du contenu canadien? Il faut se mettre à la page.

Cependant, cela nous laisse toujours beaucoup de questions concernant les diffuseurs spécialisés qui offrent exclusivement du contenu étranger, comme BritBox.

(1710)

On ne sait pas encore avec certitude quelle incidence cette mesure législative aura sur eux et, par le fait même, sur ce que les applications de diffusion en continu offriront aux Canadiens. Est-ce à dire que les diffuseurs comme BritBox n’auront pas le droit d’exercer leurs activités au Canada?

La réponse reste à déterminer, chers collègues, et elle ne sera pas déterminée par nous mais par l’organisme de réglementation, le CRTC. Je ne sais pas ce que vous en pensez mais, personnellement, cela m’inquiète fortement. C’est une chose d’avoir un organisme de réglementation indépendant, mais c’est tout autre chose de lui céder le pouvoir et les responsabilités que nous avons, en tant que parlementaires, en matière d’élaboration des lois. On ne parle pas ici de cadres, comme la sénatrice Simons l’a mentionné hier en réponse à une question que je lui posais. On ne parle pas ici de cadres. Il ne s’agit pas non plus d’une motion. C’est un projet de loi, une mesure législative beaucoup plus lourde de conséquences qu’un cadre.

Je passe maintenant à une autre partie du projet de loi qui me préoccupe grandement. Il s’agit de l’autre volet des raisons invoquées par le gouvernement pour proposer ce projet de loi. Il dit souhaiter éliminer les obstacles auxquels se butent les artistes et les créateurs canadiens sous-représentés et garantir l’accès à ces créateurs. Qui pourrait s’opposer à un tel objectif?

Encore une fois, je ne suis malheureusement pas convaincu que le projet de loi sous sa forme actuelle atteint la cible, et les créateurs non plus. Ce fut on ne peut plus clair tout au long de notre étude en comité. Nous l’avons entendu de la bouche des créateurs des communautés autochtones, noires et de couleur ainsi que des créateurs francophones, qui ont aussi témoigné devant notre comité. Ces créateurs nous ont dit qu’ils ont beaucoup de succès en ligne parce qu’il y existe une liberté qu’aucune chaîne traditionnelle de radio et de télévision n’a jamais pu leur offrir. C’est presque mot pour mot ce que Darcy Michael a déclaré devant le comité. M. Michael, qui se présente comme étant un humoriste britanno-colombien homosexuel qui aime fumer un petit joint, a séduit les membres du comité avec son témoignage livré sur un ton léger, mais empreint de sincérité et de fougue. M. Michael a expliqué à quel point sa situation s’est améliorée grâce au monde virtuel, car il est propriétaire de tout le contenu qu’il crée. C’est tout le contraire pour le contenu qu’il a créé par le passé pour la chaîne de télévision CTV, car elle détient tous les droits.

Les témoins en désaccord avec l’affirmation de M. Michael, qui disent que les créateurs ne réussissent pas mieux dans le monde virtuel, représentent des associations et des lobbys, pas les créateurs. Autrement dit, les gardiens, les intermédiaires, ceux qui se graissent la patte, pas ceux qui produisent le contenu artistique ou culturel, mais bien les gardiens.

Ce qui m’amène au débat qui a eu lieu plus tôt cette semaine à la suite des remarques du sénateur Richard. Je crois effectivement qu’il existe un certain degré de romantisme dans le rôle que ces partisans institutionnels ont joué dans le succès de certains des grands chanteurs, dramaturges et acteurs du Canada. Des sénateurs ont pris la parole au sujet de tel ou tel autre Canadien qui, à ce qu’il paraît, n’aurait jamais connu autant de succès sans l’intervention et les subventions du gouvernement. Ma question est la suivante : combien de Canadiens extraordinaires et talentueux n’ont pas réussi parce qu’un chien de garde, à un moment donné, a décidé pour une raison quelconque qu’ils ne méritaient pas qu’on les aide? On n’a jamais entendu parler de ces histoires de réussite, alors pourquoi voudrait-on conserver un système qui décide des gagnants et des perdants alors que cela n’est plus nécessaire?

[Français]

Sénatrice Miville-Dechêne, je respecte le fait que les choses sont un peu différentes dans notre province, le Québec. Je comprends les préoccupations que vous soulevez, tout comme j’admire et je respecte votre défense acharnée des artistes québécois. Je pense que vous avez abordé un sujet très important lorsque vous avez parlé du conflit générationnel et de la nostalgie des Québécoises et des Québécois à l’égard du quota de 65 % de musique francophone à la radio québécoise. Je crois sincèrement qu’il s’agit là d’une partie du problème que pose ce projet de loi : il tente de recréer quelque chose qui a fonctionné à l’époque, mais qui ne s’applique plus à l’ère numérique.

Vous parlez des jeunes Québécoises et Québécois qui n’écoutent plus les artistes locaux. Ils n’écoutent peut-être pas ceux et celles que nous connaissons, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils n’écoutent pas les artistes québécois, simplement parce que cela n’apparaît pas dans notre collection de données préférées. Cela ne tient pas compte non plus de toutes les personnes partout dans le monde, à l’extérieur du Québec et du Canada, qui écoutent maintenant des artistes québécois et francophones canadiens.

Encore une fois, je vous assure et vous répète que je reconnais et respecte ce que vous dites au sujet des chanteuses, des chanteurs, des musiciennes et des musiciens québécois. Je comprends pourquoi l’amendement que vous avez proposé au comité à l’article 4 a du sens dans ce contexte.

[Traduction]

En toute honnêteté, je pense que votre amendement est une amélioration, mais je pense aussi que nous aurions pu aller beaucoup plus loin. Et je suis déçu que le Sénat ait rejeté l’amendement du sénateur Plett, présenté plus tôt aujourd’hui — il y a un instant, en fait. Cependant, j’ai soutenu votre amendement au comité et je le soutiens encore aujourd’hui. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il laisse encore beaucoup de discrétion au CRTC.

Le problème, c’est que bien que le gouvernement utilise continuellement le slogan « Les plateformes oui, les utilisateurs, non », ce n’est pas comme cela que fonctionne Internet, chers collègues. Les utilisateurs d’une plateforme sont directement affectés par toute réglementation qui s’applique à la plateforme elle-même, en particulier lorsqu’il s’agit de quelque chose comme la découvrabilité. Les plateformes sont des coquilles vides. Ce ne sont que des autoroutes. La matière est toujours fournie par les producteurs de contenu numérique — les Canadiens de tout le pays qui diffusent du contenu sur ces plateformes.

L’autre partie du problème, c’est que je ne suis pas convaincu que l’organisme de réglementation l’entende — peu importe combien de fois le gouvernement le répète. Vous vous souvenez peut-être de cet échange très révélateur entre la sénatrice Wallin et Ian Scott, alors président du CRTC, lorsqu’il a comparu devant notre comité en juin dernier. N’oubliez pas que c’est le CRTC qui aura toute latitude pour interpréter et créer les règlements.

La sénatrice Wallin a dit ceci à M. Scott — et c’est très important, chers collègues :

Je sais que le ministre, d’autres responsables et vous-même insistez pour dire que vous ne réglementez pas ce contenu, mais je pense qu’il faut décortiquer un peu les mots. Vous allez réglementer les plateformes, qui imposeront ensuite vos décisions et vos directives, comme vous l’avez dit. Vous n’allez pas manipuler les algorithmes; vous obligerez plutôt les plateformes à le faire. C’est une réglementation sous un autre nom. Que ce soit fait directement et explicitement ou indirectement, vous allez réglementer le contenu.

M. Scott a répondu ceci : « Vous avez raison. »

Cette question est devenue absolument cruciale, car les défenseurs du projet de loi tentent de défendre une disposition dans la mesure législative qui a manifestement des implications beaucoup plus larges que ce qu’ils veulent nous faire croire.

M. Scott n’était d’ailleurs pas le seul à avoir cette interprétation; un autre ancien président, M. Konrad von Finckenstein, a tenu les mêmes propos. Même lorsque M. Scott et d’autres représentants du CRTC ont comparu une deuxième fois devant le comité à la fin de l’étude, ils n’ont pas été en mesure de nous assurer qu’ils pouvaient appliquer les exigences en matière de découvrabilité aux plateformes en ligne sans que ces plateformes aient à modifier leurs algorithmes. Au cas où il y aurait encore des gens qui pensent que le gouvernement et le CRTC ne comprennent pas exactement ce qu’ils disent ici et ce que cela signifiera en pratique, permettez-moi de citer un autre extrait du témoignage de M. Scott devant le comité sénatorial :

Je vais vous donner des exemples simples. Plutôt que de dire — et la loi empêche de le faire — que nous allons changer les algorithmes, comme de nombreux pays européens l’envisagent, nous allons préciser ce que nous voulons : que les Canadiens puissent trouver de la musique canadienne. Quelle est la meilleure façon d’y parvenir? Comment va-t-on procéder? Je ne veux pas manipuler les algorithmes. Je veux plutôt que les fournisseurs le fassent pour obtenir un résultat donné.

Ce sont les paroles de l’ancien président du CRTC.

Permettez-moi de répéter la dernière partie : « Je ne veux pas manipuler les algorithmes. Je veux plutôt que les fournisseurs le fassent pour obtenir un résultat donné. »

M. Scott affirme que le projet de loi lui permettrait de dire aux plateformes : « Le gouvernement ne manipulera pas votre algorithme; nous allons plutôt vous demander de le faire pour nous. »

Chers collègues, c’est sérieux. M. Scott a reconnu que, même si le libellé du projet de loi affirme que l’organisme de réglementation ne peut contraindre une plateforme à manipuler son algorithme, il semble y avoir un moyen détourné lui permettant de le faire. Devant un tribunal, on parlerait d’un aveu d’intention clair et consigné.

Le gouvernement — et les parlementaires — ont beau dire que telle chose fait partie des intentions du projet de loi, mais pas telle autre, si cette intention n’est pas claire et coulée dans le béton à même le projet de loi et si nous ne faisons pas notre travail en ce qui concerne les directives données à l’organisme de réglementation, nous n’aurons aucun recours si ce dernier choisit une interprétation différente de la nôtre.

C’est maintenant que le Parlement doit faire connaître clairement sa volonté. C’est maintenant qu’il faut faire notre travail. Chaque fois que le Parlement délègue des tâches, que ce soit à un organisme de réglementation ou à d’autres organes, il perd de son influence. Si nous souhaitons conserver un certain contrôle, nous devons exprimer très clairement nos intentions. Nous devons éliminer le pouvoir discrétionnaire en précisant les règles, ou nous devons soumettre ces dernières au contrôle du Parlement, par exemple, au moyen d’une résolution de ratification affirmative ou d’un dépôt avant leur entrée en vigueur.

De toute évidence, tout ce que nous accomplissons au niveau de la loi reste beaucoup plus figé dans le temps, de sorte qu’il est souvent difficile de réagir à des situations nouvelles ou urgentes, surtout si elles se présentent après que le Parlement ait été dissout pour une raison ou pour une autre. Cependant, il s’agit de la Loi sur la radiodiffusion, et le fait de décider si elle doit s’appliquer à tel ou tel type de contenu ou de déterminer à quel type de contenu il faut donner la priorité n’est pas quelque chose qui se produirait dans une situation d’urgence.

Je comprends l’argument selon lequel l’organisme de réglementation doit disposer d’une certaine souplesse dans certains domaines, mais dans celui-ci, chers collègues, je ne crois pas que ce soit justifié. La souplesse, c’est justement ce qui pose problème dans cette mesure législative. Ce dont elle a besoin, surtout en ce qui concerne le contenu généré par les utilisateurs et la modification d’algorithmes, c’est de clarté, de certitude et d’absence d’ambiguïté. Même si je ne suis pas convaincu que nous ayons saisi l’occasion de mettre les choses bien au clair dans l’article 4, j’estime que nous avons une autre occasion de le faire dans les articles 3 et 10. À mon avis, nous pouvons le faire en éliminant l’exigence visant les plateformes. J’estime que nous devons préciser hors de tout doute que le choix individuel de l’utilisateur est primordial dans l’intervention du gouvernement en ce qui concerne ce que nous consommons et publions en ligne. Voilà pourquoi je proposerai un amendement relativement à la découvrabilité.

(1720)

La « découvrabilité », chers collègues, s’entend de la promotion d’un certain contenu au détriment d’un autre. Il s’agit d’un outil qui permet de faire découvrir aux utilisateurs du contenu en le mettant à leur disposition dans ce qu’on appelle, le plus souvent, un fil ou un flux. Pensons à YouTube, que nous connaissons tous, car nous l’utilisons souvent. Quand on regarde une vidéo sur YouTube, d’autres vidéos nous sont suggérées dans la file d’attente de visionnement. Voilà ce qu’est la découvrabilité. Ces vidéos sont déterminées au moyen d’algorithmes. Habituellement, ces algorithmes sont conçus de manière à adapter le contenu qui nous est proposé en fonction de ce que nous avons consulté ou visionné auparavant et de nos préférences.

Ce que le gouvernement veut faire au moyen du projet de loi C-11, c’est s’assurer que votre fil — les vidéos qui vous sont suggérées, par exemple — affiche en priorité du contenu que le gouvernement considère comme représentant la culture canadienne ou racontant l’histoire du Canada ou qu’il juge approprié ou prioritaire.

C’est une chose pour le gouvernement et les parlementaires de dire vouloir veiller à ce que la culture et les récits canadiens sont disponibles, ou même de dire que nous voulons nous assurer que les Canadiens y sont exposés. C’est tout autre chose de légiférer et de forcer les gens à s’y intéresser. C’est le danger qui nous guette avec ce projet de loi qui, sous couvert de souveraineté culturelle et de récits canadiens, vise à imposer l’idée d’un gouvernement sur ce qui est ou n’est pas un contenu acceptable. Comme l’a dit le sénateur Richards dans son intervention en début de semaine, c’est de la censure sous couvert de l’inclusion.

Même si vous croyez sincèrement que le gouvernement a les meilleures intentions du monde et que l’organisme de réglementation respectera ces intentions à la lettre, que se passera‑t‑il s’il ne le fait pas? Voilà la question qui se pose. Ne parlons pas des parlementaires qui n’ont aucun recours. Quel recours auront les Canadiens, alors, pour signaler que ce n’est pas ce qui était prévu dans la loi et que ce n’est pas ce qu’on leur a dit? Que pourront-ils faire? Déposer un appel au CRTC? Je suis sûr que tout cela convient parfaitement à ceux qui font confiance les yeux fermés aux grandes bureaucraties gouvernementales. Pourtant, comme ma collègue, la sénatrice Batters, l’a mentionné hier en citant Monica Auer, la directrice générale du Forum for Research Policy in Communications :

Pour ce qui est de la responsabilisation et de la transparence, le problème en ce moment avec le CRTC, c’est qu’il ne rend pas ses décisions publiques. Chaque année, il publie des dizaines de décisions que vous ne pouvez pas voir parce qu’il n’y a pas d’hyperlien et qu’il ne publie pas. Lorsque nous disons que le CRTC est transparent, ce n’est tout simplement pas le cas. Il tient des audiences publiques sans témoins. Je suis désolée — vous avez été très aimables de m’inviter —, mais le CRTC choisit de ne pas inviter qui que ce soit à certaines audiences, y compris les transferts de propriété.

J’ai été particulièrement frappé par cette citation de Mme Auer parce que même si mes collègues s’inquiètent grandement de l’absence de transparence concernant les algorithmes utilisés par les plateformes en ligne, l’organisme de réglementation auquel on a confié cette tâche semble se préoccuper très peu de ce manque de transparence. Disons que c’est un peu fort.

Bien que je convienne que les consommateurs canadiens ont droit à une transparence accrue, je ne partage pas l’angoisse concernant ce qui se cache derrière les algorithmes. Les plateformes en ligne utilisent des algorithmes pour adapter le contenu proposé à l’utilisateur, habituellement en fonction des habitudes de consommation de ce dernier. Comme toute entreprise, ces plateformes portent attention au comportement de leurs clients. Elles portent attention à ce qu’ils aiment ou n’aiment pas, et elles adaptent le contenu qu’elles leur proposent en conséquence. C’est comme avoir un acheteur personnel qui fait une présélection en fonction de ce qu’il sait que vous aimez, ce qui vous évite de faire le tour de chaque boutique. C’est ce qu’on appelle le service à la clientèle, chers collègues.

La sénatrice Miville-Dechêne a d’ailleurs utilisé une analogie semblable en disant que certaines choses se retrouvent au fond du baril ou du placard. Cela dit, j’estime que nous devons nous efforcer à ce que rien dans les règlements ou la loi n’empêche les Canadiens de fouiller dans la gamme complète des produits offerts et d’accéder à ce qui se trouve au fond du baril s’ils le souhaitent. Quelque chose doit inévitablement se retrouver au fond du placard ou du baril. Je crois simplement qu’il n’appartient pas au gouvernement de dire à un propriétaire de magasin comment organiser ses étalages ni de dire aux consommateurs à quelles boutiques ils devraient magasiner. Voilà ce que sont, en gros, les médias sociaux : un nombre infini d’options et de possibilités, et des entreprises qui adaptent leur marchandise en fonction de vos préférences. Cependant, c’est vous qui êtes aux commandes. C’est vous qui décidez. Le gouvernement n’a aucun rôle à jouer, et il ne devrait pas en avoir.

Sénatrice Miville-Dechêne, vous avez dit que vous ne pouviez pas savoir si un algorithme était influencé par un partenariat entre la plateforme et un annonceur. Et si c’était le cas? Et alors? Cela se fait tout le temps dans le commerce du détail, tout comme dans la télédiffusion traditionnelle et lors d’événements culturels. D’ailleurs, est-ce différent en principe que lorsque le gouvernement commandite du contenu ou lorsqu’il donne des subventions? N’est‑ce pas la même chose? Oui, ce l’est. Le libellé du projet de loi fait en sorte qu’une société d’État obligerait les plateformes à changer leurs stratégies pour s’attirer la fidélité des utilisateurs.

Par ailleurs, on se trouve à s’ingérer dans les affaires des créateurs de contenu numérique canadien et dans leur façon de gagner leur vie. Morghan Fortier, présidente-directrice générale de Skyship Entertainment — qui est peut-être l’exportateur de contenu canadien qui a connu le plus de succès au pays sur YouTube —, a dit à notre comité que, lorsqu’on s’ingère là-dedans, cela équivaut essentiellement à s’ingérer dans la façon dont les stations de radio ont accès aux données sur les cotes d’écoute et apportent des ajustements en conséquence à leur programmation ou aux équipes de production.

La plupart des législateurs n’iraient jamais jusqu’à proposer un tel niveau d’ingérence dans les activités de mise en marché du secteur privé, mais c’est exactement ce qui est proposé dans ce projet de loi. Pourquoi ferions-nous cela, et pourquoi continue-t-on de prêter des intentions à ces entreprises? En ce qui concerne leur façon de mener leurs activités, pourquoi prête-t-on à ceux qui exploitent ces plateformes des intentions malveillantes qu’on ne prêterait pas à d’autres entreprises comme les stations de radio ou les librairies, ou même que nous ne devrions pas prêter au gouvernement?

Vous avez dit vous-même, madame la sénatrice, que, contrairement à moi, vous n’avez pas une confiance aveugle dans le libre marché. Or, contrairement à vous, je n’ai pas une confiance aveugle dans le gouvernement. Je suis désolé. Voilà la différence entre nous. Au bout du compte, je suis favorable à ce que l’on fasse davantage confiance aux utilisateurs de ces plateformes lorsqu’il s’agit de décider de ce qu’ils veulent regarder, écouter ou promouvoir. J’ai confiance en la capacité des Canadiens de faire leurs propres choix — je crois au libre choix — et de déterminer par eux-mêmes quelles sont les plateformes qui répondent le mieux à leurs besoins. Je suis favorable à ce que les consommateurs puissent faire leurs propres choix et à ce que l’on fasse confiance aux Canadiens lorsqu’il s’agit de promouvoir ce qui, selon eux, mérite de l’être.

J’ai entendu en comité les arguments de collègues et de fonctionnaires du ministère selon lesquels il existe d’autres moyens d’atteindre les résultats souhaités, sans manipuler les algorithmes, malgré les témoignages de créateurs, d’utilisateurs, de plateformes et de l’organisme de réglementation lui-même affirmant le contraire — et malgré le fait que personne n’a clairement indiqué quels pourraient être ces autres moyens.

M. Scott, qui était président du CRTC à l’époque, a fait référence au processus consultatif qui suivrait l’adoption de cette loi. Il a noté que ce processus jouerait un rôle central dans la détermination de la façon dont les plateformes pourraient et devraient atteindre des résultats particuliers de la meilleure façon possible. Cependant, pour beaucoup de ces plateformes, il n’y a tout simplement pas assez de surface d’écran pour accomplir le genre de résultats dont il est question sans manipulation des algorithmes. Ces plateformes n’offrent pas la possibilité d’avoir des onglets ou des menus déroulants qui permettent de diviser le contenu par catégories et donc de promouvoir ou de mettre en valeur de manière passive le contenu canadien. Beaucoup d’entre elles n’ont même pas la surface d’écran nécessaire pour inclure une barre latérale — comme Google — montrant de nombreuses vidéos parmi lesquelles on peut choisir. Les vidéos ne font que défiler sur l’écran.

C’est l’argument que Jennifer Valentyne, Scott Benzie, Justin Tomchuk, Darcy Michael, Morghan Fortier, J. J. McCullough, Frédéric Bastien Forrest et tant d’autres ont tous fait valoir au cours de leur témoignage devant notre comité. Chers collègues, vous avez vu à quel point différentes générations de Canadiens sont acrimonieuses et divisées sur ce projet de loi. Le gouvernement a massivement pris le parti de soutenir les entreprises traditionnelles de câblodistribution et de radiodiffusion alors qu’elles ont elles‑mêmes montré que leur modèle n’était plus efficace.

Ce n’est pas tout, chers collègues. L’expérience du consommateur sera encore davantage perturbée par le coût prohibitif entraîné par le fait de réglementer le contenu généré par l’utilisateur en assurant la découvrabilité de la manière décrite dans le projet de loi. Non seulement les coûts plus élevés pour les plateformes seront transmis aux consommateurs, mais, dans certains cas, ils pourraient aussi conduire certaines plateformes à se retirer complètement du marché canadien.

C’est là une réalité, en particulier pour les petites plateformes qui servent les communautés d’immigrants au Canada à partir de l’étranger ou les diffuseurs au public ciblé comme BritBox, que l’on a déjà mentionné. Ils pourraient très bien décider qu’ils n’ont plus les moyens de faire affaire au Canada. L’expérience des consommateurs se détériorera également parce qu’ils perdront confiance dans le système. Ils verront de moins en moins de contenu personnalisé selon leurs goûts et leurs intérêts. Bien qu’il puisse sembler séduisant de forcer les gens à sortir de leur zone de confort, je vous assure que cela aura un impact négatif à long terme.

Ces effets négatifs seront surtout ressentis par ceux-là mêmes que le projet de loi est censé protéger et promouvoir : les artistes et les créateurs canadiens. Il y a un risque que de nombreux consommateurs se détournent complètement de ce type de contenu. Ils iront ailleurs pour trouver sans entrave ce qu’ils recherchent.

(1730)

Voici ce que le youtubeur Justin Tomchuk a dit à notre comité au sujet du contenu canadien imposé :

Le contenu canadien aura de mauvaises performances sur les plateformes, parce que l’auditoire n’y trouvera pas son intérêt. Vous pouvez forcer quelqu’un à présenter une vidéo, mais vous ne pouvez pas forcer les gens à la regarder. Les Canadiens cliqueront ailleurs et apprendront à éviter activement le contenu canadien.

C’est très important, car c’est exactement ce qu’on constate en ce moment avec la radiodiffusion traditionnelle. Les cotes d’écoute des médias traditionnels sont en chute libre car les consommateurs ont maintenant des choix grâce à la diffusion en continu. Ils ne sont plus obligés de consommer ce qu’on leur présente. Ce n’est pas la faute des plateformes de diffusion en continu, et ce n’est pas non plus une condamnation de la qualité du contenu canadien ailleurs. Combien d’entre vous, pendant le temps des Fêtes, ont regardé Netflix au lieu de la programmation locale de CTV ou de TVA? C’est un choix. C’est votre droit.

M. Tomchuk a expliqué un autre risque que courraient les créateurs de contenu numérique canadiens si les algorithmes sont modifiés pour satisfaire aux exigences relatives à la découvrabilité du contenu canadien : si on fait la promotion du contenu en fonction d’un critère autre que celui du contenu que le consommateur veut ou pourrait aimer regarder selon ses habitudes précédentes, il cliquera sur le contenu, réalisera que ce n’est pas quelque chose qu’il veut regarder et passera rapidement à autre chose sans le regarder jusqu’au bout. Les gens cliquent, on le sait. Un truc ne nous intéresse pas? On clique simplement sur autre chose, sur quelque chose qui nous intéresse. Ce comportement exercera une pression à la baisse sur le taux de fidélisation de l’audience de cette publication. Ce taux de fidélisation plus faible aura à son tour un effet négatif sur le classement mondial de la publication, entraînant ainsi une baisse de sa découvrabilité.

Ainsi, les artistes et les créateurs canadiens qui connaissent un immense succès à l’échelle mondiale verront ce succès grandement diminué en échange de la possibilité d’un succès ici au pays. Comme le disait un récent éditorial du Financial Post :

Même si le projet de loi C-11 les aide à obtenir un peu plus de succès ici au pays, et rien ne le garantit, cela pourrait nuire à tout succès qu’ils pourraient espérer au-delà des frontières du Canada.

Cette situation sera exacerbée par la menace des autres pays qui donneront suite à l’adoption de ce projet de loi en faisant la même chose de leur côté, c’est-à-dire adopter leurs propres lois protectionnistes. Cela aurait pour conséquence de bloquer le contenu canadien ici, chez nous. Toute la réussite et toutes les possibilités qui sont à la portée de nos artistes et de nos créateurs grâce à l’ouverture sur le monde que l’espace sans frontières sur Internet leur offre disparaîtront. La liberté possible sur Internet donne un grand pouvoir. Comme l’un des témoins l’a affirmé, tous les créateurs doivent relever le défi de gagner des clics et des abonnés, mais les règles du jeu sur Internet sont égales pour tous sur le plan de l’accessibilité.

Je comprends que certains sénateurs ressentent le besoin de conserver l’article 4 dans le projet de loi afin de protéger les auteurs-compositeurs, les chanteurs et les musiciens contre les compagnies de disque qui risquent de diffuser en continu leurs œuvres sans les rémunérer équitablement. Toutefois, l’étude de notre comité m’a permis de comprendre que ces protections sont déjà en place par l’entremise des droits d’auteur dans notre pays, ainsi que dans le cadre des obligations contractuelles. Il n’y a pas lieu que le projet de loi C-11 touche à ces aspects. C’est pourquoi je persiste à croire que la bonne chose à faire est de carrément supprimer le contenu généré par l’utilisateur de ces mesures législatives.

Cependant, à défaut de le faire, je crois qu’il nous est encore possible d’améliorer le projet de loi en supprimant les dispositions sur la découvrabilité et la manipulation des algorithmes. L’amendement que je propose est axé sur ces aspects.

En conclusion, avant de passer à mon amendement, je voulais simplement dire que les industries canadiennes du divertissement et de la création sont florissantes. C’est le système désuet de prestation et, nul doute, de financement qui est en mode de survie, et il devrait en être de même pour le système de réglementation vieillissant. C’est un système qui a bien fonctionné à une époque, à divers degrés, parce qu’il a été conçu pour la radiodiffusion conventionnelle qui s’arrêtait principalement à nos frontières nationales. Il a toutefois fait son temps. Son époque et son utilité sont passées. Il n’est certainement d’aucune utilité lorsqu’il s’agit des créateurs de contenu numérique et du contenu généré par les utilisateurs.

Ce sont les créateurs eux-mêmes qui nous le disent. Ils nous supplient de ne pas leur imposer l’ancien régime réglementaire. Ils nous montrent que, contrairement à la radiodiffusion conventionnelle, ils n’ont pas besoin de nous. Ce dont ils ont besoin, c’est que nous restions en dehors de leur chemin, ainsi que le gouvernement. Ils nous implorent de tenir compte de leur succès et de reconnaître que ce succès est le résultat de la production d’un contenu de qualité, intéressant et innovant, que les gens veulent voir et entendre.

En laissant les dispositions de découvrabilité dans ce projet de loi, nous déclarons qu’à notre avis, les créateurs canadiens sont incapables de réussir par eux-mêmes. Nous insinuons que ce qu’ils produisent n’est pas intéressant en soi et qu’ils ne réussiront pas sans notre intervention, en particulier les créateurs marginalisés et sous-représentés comme les autochtones, les personnes noires et de couleur et les artistes et créateurs francophones. Franchement, c’est non seulement décourageant pour ces créateurs, mais aussi extrêmement paternaliste. Si, comme l’affirme le gouvernement, l’objectif consiste à éliminer les barrières et à assurer la promotion et la découvrabilité des créateurs sous-représentés, la réponse est simple : n’érigez pas de barrières là où il n’y en a pas, et ne laissez pas le gouvernement ou les gardiens décider qui ou quoi les Canadiens doivent regarder ou écouter.

Voici ce qu’on a pu lire récemment dans un éditorial du Financial Post :

Si les bureaucrates du gouvernement obtiennent le droit de décider du contenu à imposer aux Canadiens, alors il y aura un risque bien réel que le gouvernement soit tenté de recourir à son pouvoir de filtration pour réduire ses critiques au silence.

Cela pourrait sembler une excellente idée pour certains dans cette Chambre, en particulier dans le contexte de ce qu’ils considèrent être des propos haineux sur Internet ou des opinions politiques qu’ils n’apprécient pas, mais cette idée leur paraîtra-t-elle aussi attrayante dans quelques mois, lorsque les libéraux ne seront plus au pouvoir?

Sur ces mots, chers collègues, j’attire votre attention sur le libellé actuel du paragraphe 3(7), page 8, ligne 29. On peut y lire ceci :

q) les entreprises en ligne qui fournissent les services de programmation provenant d’autres entreprises de radiodiffusion devraient, à la fois :

(i) assurer la découvrabilité des services de programmation canadienne ainsi que des émissions canadiennes originales [...]

Mon amendement remplacera le mot « assurer » par « permettre ». Cela encouragerait les plateformes en ligne à rendre le contenu canadien disponible, mais sans forcer un diffuseur en ligne comme BritBox à quitter le marché canadien.

En outre, il ne supprimera pas entièrement la référence à la découvrabilité, mais remplacera le mot « assurer » par « permettre » afin de donner une certaine souplesse aux plateformes pour qu’elles puissent éviter la manipulation des algorithmes.

La deuxième partie de mon amendement concerne l’article 10, à la page 14, aux lignes 26 à 31, qui décrit l’obligation du CRTC de réglementer comme suit, dans le paragraphe 9.1(1) proposé :

e) la présentation des émissions et des services de programmation que peut sélectionner le public, y compris la mise en valeur et la découvrabilité des émissions canadiennes et des services de programmation canadiens, notamment les émissions de langue originale française;

Mon amendement supprimera tout le texte après « que peut sélectionner le public ».

Je propose cet amendement au projet de loi C-11 afin de tenter une fois de plus, dans un ultime effort, de protéger le droit des Canadiens de déterminer ce qu’ils publient et ce qu’ils voient en ligne. Il éliminera pour les plateformes en ligne la menace de se faire dicter par le gouvernement ou le CRTC ce que devraient être leurs algorithmes ou quel contenu devrait être prioritaire tout en rendant d’autres contenus moins accessibles.

Essentiellement, il faut laisser le choix aux Canadiens. Il faut permettre au système de fonctionner tel que les Canadiens le veulent, en ce qui a trait à ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent et ce qu’ils publient.

Rejet de la motion d’amendement

L’honorable Leo Housakos : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-11, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau :

a) à l’article 3 (dans sa version modifiée par décision du Sénat le 14 décembre 2022), à la page 8, par substitution, à la ligne 32, de ce qui suit :

« (i) permettre la découvrabilité des services de pro- »;

b) à l’article 10 (dans sa version modifiée par décision du Sénat le 14 décembre 2022), à la page 14, par substitution, aux lignes 27 à 31, de ce qui suit :

« programmation que peut sélectionner le public; ».

Honorables sénateurs, je vous remercie de votre attention.

Des voix : Bravo!

Des voix : Le vote!

L’honorable Patricia Bovey (la Présidente suppléante) : Y a‑t‑il des questions?

Sénateur Housakos, il vous reste quatre minutes et plusieurs sénateurs veulent poser des questions. Nous surveillerons le temps.

L’honorable Donna Dasko : Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre discours exhaustif. Je voulais vous rappeler que le projet de loi C-11 comprend déjà une exclusion concernant l’utilisation d’algorithmes. Quoi que le président, qui est maintenant l’ancien président, ait pu dire — et il a bel et bien, comme vous l’avez cité correctement, fait ces déclarations au comité —, vous savez que le paragraphe 9.1(8) stipule ce qui suit :

L’alinéa (1)e) [...]

 — que vous proposez de modifier —

[...] n’autorise pas le Conseil à prendre une ordonnance qui exige l’utilisation d’un algorithme informatique ou d’un code source particulier.

Le projet de loi, dans sa forme actuelle, dit donc qu’aucune modification d’algorithme ne sera autorisée sous les ordres du CRTC.

Je pense que votre préoccupation concernant les algorithmes est un peu déplacée, car le CRTC ne peut pas se prononcer sur les algorithmes.

(1740)

Le sénateur Housakos : Merci d’avoir apporté de l’eau à mon moulin, sénatrice Dasko. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, prend bel et bien des décisions liées à ces questions.

Tout d’abord, comme nous le savons, le projet de loi le dit clairement et le président du CRTC a reconnu ce langage dans le libellé. Il a aussi reconnu que le projet de loi lui donne le pouvoir d’exiger certains résultats, c’est-à-dire d’obliger les plateformes à en arriver à un certain résultat. Comme je l’ai souligné dans mon discours, on a constaté à plusieurs reprises que des fonctionnaires et des représentants du CRTC essayaient d’expliquer au comité comment on pouvait créer un résultat en particulier sans manipuler les algorithmes. Il n’y a qu’un seul moyen d’en arriver à un résultat. Si le résultat recherché par le CRTC est, par exemple, une liste de critères auxquels il veut que les plateformes donnent la priorité, à part la manipulation des algorithmes, que pourront faire les plateformes au juste pour arriver aux résultats qu’il exige? Vous avez peut-être une réponse.

La sénatrice Dasko : Comme vous le savez, sénateur, il existe de nombreuses autres façons de promouvoir et de mettre en valeur le contenu canadien. C’est un sujet qui a souvent été abordé par notre comité. Les plateformes ont différentes façons de faire de la promotion, que ce soit au moyen de la publicité, de catégories de présentation, de fenêtres contextuelles — elles disposent de toutes sortes de méthodes pour mettre en valeur le contenu canadien.

Lorsque l’on tient compte de ces possibilités, en plus de ce que je viens de lire — et qui indique très clairement que l’on ne peut pas imposer la manipulation des algorithmes —, lorsque l’on réunit toutes ces possibilités, il est facile de se faire une idée de la façon dont les plateformes peuvent assurer la découvrabilité. Cela me semble très raisonnable et me semble répondre à vos préoccupations. Merci.

Le sénateur Housakos : Cela ne répond pas à mes préoccupations ni à celles de tous les producteurs de contenu numérique qui ont comparu devant le comité. Vous avez participé avec diligence à ce processus.

Avec tout le respect que je vous dois, les fenêtres contextuelles et les bandes publicitaires n’alimentent pas le contenu. Ce point a été confirmé par les plateformes elles-mêmes lorsqu’elles se sont présentées devant le comité. Il a toujours été clairement établi qu’il n’y a qu’un seul moyen de générer des résultats, et c’est la manipulation algorithmique. Le rapport le dit clairement. Aucun témoin n’a remis cela en question — ni les plateformes ni les dirigeants du CRTC.

De plus, le problème ici, comme nous l’avons vu par le passé, c’est que le CRTC jouit d’une discrétion absolue dans l’ancienne Loi sur la radiodiffusion et c’est encore le cas avec ce texte. Le président du CRTC a admis qu’il avait les pleins pouvoirs pour appliquer la Loi sur la radiodiffusion. Nous en avons eu l’exemple l’an dernier, lorsque le CRTC a censuré une émission et un journaliste de Radio-Canada en raison de l’utilisation d’un mot jugé inapproprié par le CRTC. L’ancienne Loi sur la radiodiffusion lui donnait le pouvoir de censurer ce journaliste. Je n’entrerai pas dans les détails et je n’utiliserai pas le mot parce qu’il est inapproprié, mais cela illustre bien le pouvoir de censure du CRTC. Nous devons être très prudents. D’ailleurs, de quoi avons-nous peur?

Son Honneur la Présidente suppléante : Sénateur Housakos, votre temps de parole est écoulé. Il y a encore plusieurs sénateurs désireux de poser une question. Souhaitez-vous demander cinq minutes de plus?

Le sénateur Housakos : Oui.

Son Honneur la Présidente suppléante : Est-ce d’accord?

Des voix : D’accord.

[Français]

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Sénateur Housakos, acceptez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Housakos : Avec plaisir.

La sénatrice Miville-Dechêne : Votre amendement se décline en deux parties. Je veux d’abord vous parler de la deuxième partie. Ce que vous voulez supprimer, notamment, c’est le fait que des émissions de langue originale française doivent faire partie de ce que les plateformes et les radiodiffuseurs privilégient. Vous voulez faire sauter cette partie du texte de loi. Cela signifie, j’imagine, que vous jugez que les émissions de langue originale française ne sont pas suffisamment importantes pour avoir droit à une certaine protection. Comme vous le savez, et vous l’avez bien expliqué dans votre présentation, le français reste une langue minoritaire au Canada et en Amérique du Nord, même si elle est majoritaire au Québec.

En général, quand je vois que vous cherchez à affaiblir la portée de la découvrabilité — qui reste une notion à définir, j’en conviens —, je reviens à cette comparaison que vous faites toujours entre le secteur privé et le secteur public, comme si la culture était une marchandise comme les autres. Je suis absolument d’accord avec vous pour dire que les entreprises privées peuvent faire toutes sortes de choses extraordinaires dans la mise au point de produits et en fonction de ce que recherche le consommateur. Cependant, pour des raisons très évidentes, la culture n’a jamais été perçue comme une marchandise pour les autres. C’est pour cela, notamment, que les gouvernements sont chargés de s’assurer d’un certain bien commun.

Bref, laissez-vous tomber les émissions de langue originale française, car cela ne vous intéresse pas? Ensuite, croyez-vous vraiment que la culture soit une marchandise comme les autres?

Le sénateur Housakos : Oui, je crois profondément que la culture est une marchandise comme les autres. Il est important de mettre de l’avant les meilleurs produits, les meilleurs artistes et les meilleures personnes dans ce domaine, qui auront pour effet d’attirer le plus d’intérêt, ce qui permettra de transformer le tout en une façon de faire de l’argent. Nous avons les mêmes objectifs. J’aimerais protéger la culture québécoise francophone. Je suis fier d’être Québécois et je suis très fier de l’importance de promouvoir la culture québécoise, mais nous avons une approche très différente.

Vous avez une obsession de protectionnisme en essayant de limiter la promotion de la culture française dans un marché restreint qui compte seulement quelques millions de francophones au Québec et au Canada. J’aimerais tirer profit de la plateforme que nous avons devant nous et je me bats pour tous les Québécois et Québécoises qui m’appellent tous les jours, qui m’envoient des courriels et qui me donnent le courage de continuer mon combat ici, en leur nom, parce que depuis quelques années, grâce à cette plateforme, ils ont la chance d’exporter leur culture française à des centaines de millions de francophones partout dans le monde.

Vous semblez maintenant convaincue que le protectionnisme, qu’une approche de fermeture qui limite les occasions pour ces gens et les oblige à travailler dans un plus petit marché représente une meilleure option pour eux que de mettre le monde francophone en entier à leur disposition. Je me bats pour ces gens. Je ne comprends pas que vous ne soyez pas aussi enthousiaste que moi à l’idée de garder et de protéger la richesse qui s’est développée depuis 15 ou 20 ans grâce à différentes plateformes internationales.

[Traduction]

L’honorable Andrew Cardozo : Sénateur Housakos, acceptez-vous de répondre à une question de ma part? Votre discours m’a permis de comprendre ce qui vous préoccupe. J’avais moi-même des doutes à ce sujet. Je crois que vous avez vraiment clarifié les choses dans mon esprit.

D’un côté, je pense que vous considérez que les algorithmes sont blancs comme neige et qu’un organe gouvernemental nommé par un gouvernement élu est le diable incarné. J’ai une vision légèrement différente des algorithmes. Nous avons entendu parler de la haine, de la misogynie et de l’antisémitisme féroces qui ont été promus et qui ont joui d’un degré élevé d’attention grâce à ces algorithmes. La controverse est le moteur des algorithmes.

Son Honneur la Présidente suppléante : Sénateur Housakos, votre temps de parole est écoulé. Souhaitez-vous demander cinq minutes de plus?

Le sénateur Housakos : Si la Chambre me le permet.

Son Honneur la Présidente suppléante : Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Cardozo : Ma question est la suivante : ne pensez-vous pas que le projet de loi permettra d’augmenter le montant d’argent consacré à la production de contenu canadien, que ce soit sur Internet ou dans d’autres médias, et que cela vaudra mieux qu’un système non contrôlé qui ne fait qu’accroître la capacité de propager la haine, la misogynie, la division et tout le reste?

Le sénateur Housakos : Je vous remercie de la question, sénateur. En fait, j’y vois deux questions.

À l’heure actuelle, le processus algorithmique employé par ces plateformes est géré de façon naturelle. Il est contrôlé par n’importe qui, par des gens comme vous et moi. Si on possède un téléphone ou un iPad et qu’on se trouve sur ces plateformes, on détermine ce qui sera prioritaire.

(1750)

Ces plateformes offrent une grande quantité de choix. Elles donnent aux consommateurs ce qu’ils veulent. C’est pour cela que je me bats. J’essaie tout simplement de dire que ce n’est pas à vous ou à moi de déterminer ce qui devrait être ou non censuré.

J’ai confiance en la population canadienne. Je ne crois pas que la majorité des Canadiens soient misogynes, racistes ou islamophobes. Je crois qu’ils feront les bons choix au bout du compte.

Quand nous voyons des choses déplorables sur le Web, nous tous, en tant que Canadiens, les dénonçons. Si nous désirons vraiment promouvoir quelque chose, c’est ce que nous ferons sans entrave ou intervention de la part de ministres ou de politiciens, qu’ils soient conservateurs, libéraux ou communistes, tant qu’à faire.

Pour répondre à votre deuxième question, lors de la dernière décennie — et je l’ai mentionné brièvement dans mon intervention, tout comme l’a fait le sénateur Plett —, 5 milliards de dollars ont été investis dans le secteur des arts et de la culture en 2021. Je sais que vous avez de nombreuses années d’expérience au CRTC dans ce secteur. Vous pouvez donc me dire en quelle année le gouvernement canadien a pu injecter une telle somme dans le secteur canadien des arts et de la culture.

Nous continuons d’investir 1,4 milliard de dollars dans CBC/Radio-Canada, même si personne ne regarde ses émissions, et Dieu sait que nous n’avons pas été consultés à ce sujet. Les cotes d’écoute ne cessent de chuter. Tout le monde se tourne vers la diffusion en continu et toutes ces plateformes qu’on s’efforce de diaboliser, alors qu’elles ont permis d’investir plus que jamais auparavant dans les arts et la culture au Canada.

Comme je l’ai dit dans mon discours, et comme nous l’avons entendu dans les témoignages, il y a actuellement non pas une pénurie, mais une abondance de contenus d’artistes canadiens qui créent plus de films, de documentaires, de chansons, de spectacles et d’autres contenus artistiques que jamais auparavant. Laissons libre cours à la culture canadienne. Le Canada se distingue nettement, partout dans le monde. Donnons au Canada la possibilité de rayonner encore plus dans le monde entier au lieu de limiter son rayonnement en fermant ses frontières.

Des voix : Bravo!

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : La sénatrice Simons a la parole.

L’honorable Paula Simons : Je serai brève, car je ne veux pas retarder votre repas.

Le sénateur Housakos soulève un point totalement valable. Je suis d’accord avec lui; le projet de loi laisse place à beaucoup trop de latitude pour la manipulation des algorithmes et l’édition du contenu visible pour les Canadiens. Cependant, ce que je n’aime pas de cet amendement, c’est qu’il ne prévoit rien pour corriger ce problème.

Dans le premier article que le sénateur Housakos propose d’amender, on veut changer le mot « assurer » par « permettre » pour que l’article se lise comme suit : « permettre la découvrabilité des services de programmation canadienne [...] notamment les émissions de langue originale française, dans une proportion équitable ». Je ne vois pas en quoi cela règle un quelconque aspect que ce soit du problème des algorithmes.

La deuxième question porte sur l’article à la page 14, à propos de la présentation de la programmation. L’amendement proposé par le sénateur Housakos vise simplement à couper la phrase au milieu, de manière à ce qu’elle se lise comme suit : « la présentation des émissions et des services de programmation que peut sélectionner le public [...] » Cela donne un segment de phrase qui n’a aucun sens et qui ne fait strictement rien pour apaiser mon inquiétude concernant le truquage des algorithmes.

Bien que je partage entièrement les préoccupations du sénateur — elles sont véritablement fondées et pas du tout démesurées —, je considère que son amendement ne contribue pas du tout à y remédier. Par conséquent, j’ai le regret de vous annoncer que je n’appuie pas cet amendement.

Son Honneur le Président : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur le Président : Je vois deux sénateurs se lever. Y a‑t‑il entente au sujet de la sonnerie?

Une voix : Une heure.

Son Honneur le Président : Le vote aura lieu à 18 h 54. Convoquez les sénateurs.

(1850)

La motion d’amendement de l’honorable sénateur Housakos, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Batters Patterson (Nunavut)
Black Plett
Carignan Richards
Housakos Seidman
MacDonald Wallin
Martin Wells—13
Oh

CONTRE
Les honorables sénateurs

Arnot Galvez
Bernard Gerba
Boehm Gignac
Boniface Greenwood
Bovey Harder
Burey Klyne
Cardozo Kutcher
Clement LaBoucane-Benson
Cormier Loffreda
Cotter Mégie
Coyle Miville-Dechêne
Dagenais Moncion
Dalphond Omidvar
Dasko Osler
Dawson Pate
Dean Patterson (Ontario)
Downe Ravalia
Duncan Saint-Germain
Forest Simons
Francis Woo
Gagné Yussuff—42

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs

Greene McPhedran—3
McCallum

(1900)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, vous plaît-il de faire abstraction de l’heure?

Des voix : D’accord.

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dawson, appuyée par l’honorable sénatrice Bovey, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, tel que modifié.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : L’honorable sénateur Dawson, avec l’appui de l’honorable sénatrice Bovey, propose que le projet de loi modifié soit lu pour la troisième fois.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que ceux qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les oui l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur le Président : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? Comme convenu, la motion sera mise aux voix immédiatement.

La motion, mise aux voix, est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté :

POUR
Les honorables sénateurs

Arnot Gerba
Bernard Gignac
Boehm Greenwood
Boniface Harder
Bovey Klyne
Burey Kutcher
Cardozo LaBoucane-Benson
Clement Loffreda
Cormier McCallum
Cotter McPhedran
Coyle Mégie
Dagenais Miville-Dechêne
Dalphond Moncion
Dasko Omidvar
Dawson Osler
Dean Pate
Downe Ravalia
Duncan Saint-Germain
Forest Simons
Francis Woo
Gagné Yussuff—43
Galvez

CONTRE
Les honorables sénateurs

Batters Patterson (Nunavut)
Black Patterson (Ontario)
Carignan Plett
Greene Richards
Housakos Seidman
MacDonald Wallin
Martin Wells—15
Oh

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs
Aucun

[Français]

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 1er février 2023, propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 7 février 2023, à 14 heures.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

(1910)

[Traduction]

L’autogouvernance du Sénat

Interpellation—Fin du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice McPhedran, attirant l’attention du Sénat sur le privilège parlementaire, le Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs et les options pour accroître la responsabilité, la transparence et l’équité dans le contexte de l’autogouvernance unique du Sénat, y compris des directives par rapport à la divulgation publique.

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, je voudrais prendre la parole à mon rang au Feuilleton, s’il vous plaît. Je crois qu’il s’agit de mon droit parlementaire.

Son Honneur le Président : Vous devez obtenir le consentement, sénatrice. Sénateur Plett?

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Nous avons eu des discussions entre leaders. La question dont la sénatrice McPhedran veut parler est, je crois, assez urgente. En conséquence, notre caucus conservateur serait disposé à accorder la permission, à la condition que ce soit le dernier article à l’ordre du jour et que le Sénat s’ajourne lorsque la sénatrice McPhedran aura fini son intervention.

Son Honneur le Président : Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Il en est ainsi ordonné.

Honorables sénateurs, avant que la sénatrice McPhedran ne prenne la parole, je tiens à informer le Sénat qu’elle exercera son droit de dernière réplique et que son intervention aura pour effet, conformément à l’article 6-12 du Règlement, de clore le débat sur cette interpellation.

[Français]

La sénatrice McPhedran : Honorables sénateurs, en tant que sénatrice du Manitoba, je reconnais que je vis sur les territoires du Traité no 1, les territoires traditionnels des peuples anishnabeg, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas et des Dénés et de la patrie de la nation métisse. Je tiens à souligner que le Parlement du Canada est situé sur le territoire non cédé et non restitué de la nation algonquine anishinabe.

Je tiens également à souligner que de nombreuses personnes de partout sur l’île de la Tortue se joignent à nous aujourd’hui, qu’elles soient sur des terres cédées ou non cédées.

Je tiens à remercier tous ceux et celles qui ont pris le temps de réfléchir et d’examiner les questions soulevées dans cette interpellation qui concerne notre institution si unique, notre modèle d’autonomie gouvernementale et notre engagement moral d’offrir à nos citoyens un Sénat modernisé, transparent, responsable, rigoureux et équitable. Nous sommes investis de nombreuses fonctions, dont la plus importante est la responsabilité publique.

Plusieurs d’entre vous m’ont contactée en privé pour discuter de ces thèmes plus en détail, et j’ai trouvé ces discussions éclairantes et motivantes. Je tiens à remercier tout particulièrement la sénatrice McCallum, qui s’est exprimée publiquement sur certains aspects clés de l’iniquité sénatoriale.

En présentant cette interpellation, j’ai proposé des modifications à notre usage du privilège parlementaire, aux procédures d’information financière publique, aux protocoles, aux rapports et à la transparence dans les enquêtes du conseiller sénatorial en éthique, et j’ai suggéré de codifier nos règles pour assurer une plus grande clarté dans leur interprétation.

J’espère que le Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs s’engagera à examiner ces questions et prendra en considération les suggestions que je lui ai envoyées.

Cependant, l’objet de cette enquête va au-delà des demandes spécifiques adressées à un comité sénatorial.

[Traduction]

Dans cette optique, je prends la parole ce soir d’abord pour vous remercier de votre écoute. Je reconnais que vos leaders ont décidé de suivre une autre voie ce soir, mais j’espère que vous me pardonnerez de demander mon droit de parole conformément au Règlement du Sénat lorsque vous entendrez ce que je me sens obligée de vous dire, chers collègues, à qui je pense devoir la courtoisie de dire d’abord ma vérité, puis de vous expliquer ce que j’ai fait et pourquoi, croyant alors et maintenant que mes efforts — qui n’ont jamais été solitaires et ne visaient jamais à attirer l’attention — étaient de bonne foi, consacrés à essayer de sauver des vies, en particulier celles de femmes et de filles. Je suis très reconnaissante du fait que je peux pleurer et parler en même temps.

Pour terminer mon interpellation, je vous présente une autre étude de cas qui illustre bon nombre des questions complexes dont l’examen a été encouragé par cette enquête. Cette étude de cas est la mienne, et je vous invite respectueusement à évaluer les mesures prises sur la base des faits que je vais vous exposer ici.

Je prends la parole aujourd’hui motivée par le désir de témoigner de mon expérience en premier lieu avec vous, chers collègues du Sénat, et parce que tiens à souligner que je considère toujours les personnes que je nommerai pendant ce témoignage comme des professionnels diligents, remplis de compassion et dignes de confiance, en général, des gens qu’il faudrait féliciter et qu’on ne devrait ni vilipender ni prendre comme boucs émissaires pour tenter de justifier que le Canada n’ait pas tenu certaines promesses. Les 21 et 22 septembre 2022, le Globe and Mail a publié des articles en première page en précisant que la source principale venait d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, mais qu’elle était anonyme. Les grands titres disaient, en anglais, « Une sénatrice canadienne a envoyé à une famille afghane des documents non authentiques, d’après Ottawa », et « Une sénatrice a envoyé des documents non authentiques à des Afghans coincés dans leur pays ». Les articles m’accusaient d’avoir produit des documents non authentiques ou — comme l’a écrit l’une des journalistes dans un message à l’intention d’une organisation non gouvernementale, une ONG, avec laquelle je travaillais — de « faux documents » d’Affaires mondiales Canada à l’intention d’Afghans, principalement de femmes qui cherchaient à sauver leur vie et à fuir la résurgence du régime taliban.

Chers collègues, je tiens à vous le dire en personne : c’est faux. C’est faux sur le plan des faits, et cela a gravement nui à ma capacité d’évacuer des femmes afghanes toujours piégées, dans la clandestinité et en situation d’extrême vulnérabilité, et d’aider celles que nous avons réussi à faire sortir du pays — car nous avons réussi à en évacuer un grand nombre —, à se réinstaller et à survivre dans les pays où elles se sont retrouvées, que ce soit en Albanie ou au Pakistan, alors qu’elles attendaient désespérément de pouvoir venir au Canada, comme nous le leur avions promis.

Plutôt que de clamer immédiatement mon innocence face aux allégations de cette journaliste et d’affirmer que les documents en question étaient authentiques et qu’ils m’avaient été transmis par des fonctionnaires haut placés et dignes de confiance, j’ai choisi de garder le silence, protégeant ainsi ces fonctionnaires et ces intervenants, mais cela ne sera plus possible à partir de demain.

Afin d’appuyer les demandeurs afghans qui poursuivent IRCC en justice, je présenterai demain une déclaration sous serment, et il est important pour moi, honorables collègues, de témoigner d’abord devant vous.

Avant ma nomination dans cette vénérable enceinte, j’ai été une avocate féministe et militante pendant 40 ans. Aujourd’hui, je suis une sénatrice féministe et militante. Cela fait partie de mon identité. Mes efforts pour promouvoir les droits des femmes et des filles afghanes, qui datent de plus de 20 ans avant la décision catastrophique des Occidentaux de se retirer de Kaboul, en août 2021, m’ont amenée à travailler avec de nombreuses organisations, comme le Conseil canadien des femmes musulmanes et l’organisme Canadian Women for Women in Afghanistan. J’ai voyagé en Afghanistan avec les Forces armées canadiennes pour m’entretenir avec des intervenants au sujet des problèmes de sécurité qui touchent les femmes et les filles afghanes.

Bon nombre de sénateurs dans cette enceinte ont beaucoup contribué à la défense et à la promotion des droits de la personne et des protections pour le peuple afghan, en particulier les femmes et les filles afghanes.

(1920)

Pour quiconque connaît la région, la résurgence des talibans n’a pas été la surprise souvent dépeinte par certains médias. En février 2020, lorsque l’ancien président Trump a signé l’accord entre les États-Unis et les talibans qui marquait le retrait des troupes américaines, les experts du monde entier nous ont avertis de ce qui allait se passer, et c’est bien ce qui s’est passé. À sa décharge, le Globe and Mail a publié en janvier 2022 un article de la présidente fondatrice de la Commission afghane indépendante des droits de la personne et ancienne vice-première ministre afghane, la Dre Sima Samar — que j’ai l’honneur connaître depuis 2001 —, qui lançait un avertissement quant à la catastrophe imminente et qui implorait le Canada d’agir de façon décisive pour sauver des vies.

Si je suis fière de mon action en faveur de l’évacuation des femmes parlementaires afghanes, des athlètes et des jeunes défenseurs des droits de la personne figurant sur la liste des personnes à abattre dressée par les talibans, je suis également très fière et reconnaissante envers mes collègues avec qui j’ai travaillé avant, pendant et après la chute de Kaboul aux mains des talibans, notamment le sénateur Boehm, la sénatrice Omidvar, la sénatrice Ataullahjan, la sénatrice Marty Deacon, la sénatrice Jaffer, le sénateur Plett, le sénateur Housakos, la sénatrice Dasko, la sénatrice Pate, le sénateur Ravalia, la sénatrice Simons, et la sénatrice Patterson, pour aider les Afghans à se réfugier en lieu sûr. Nombre d’entre nous ont contacté le premier ministre Trudeau et d’autres personnes haut placées pour leur demander d’agir bien avant la chute de Kaboul. Bien d’autres ont plaidé auprès d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour le compte de familles afghanes qui traversent actuellement des périodes d’incertitude dans le cauchemar bureaucratique des procédures d’immigration. Beaucoup d’entre nous ont collaboré avec des organisations et des réseaux fédéraux, internationaux et issus de la société civile pour faciliter ce travail. Voilà ce que les sénateurs peuvent choisir de faire, et beaucoup d’entre nous le font encore presque tous les jours.

Au cours de cette période, j’ai moi-même communiqué notamment avec des ministres canadiens, des représentants de ministères, des ambassadeurs, des homologues américains et internationaux, des militaires et des organisations multilatérales telles que l’Union interparlementaire. Notre objectif collectif était toujours de maximiser le nombre de vies afghanes que nous pouvions sauver.

Dans le contexte de l’annonce du 13 août 2021, soit deux jours avant la chute de Kaboul et le déclenchement des élections fédérales le 15 août, Marco Mendicino, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Garneau, ministre des Affaires étrangères et Harjit Sajjan, ministre de la Défense nationale — soit dit en passant, il est un peu étrange que la ministre des Femmes et de l’Égalité des sexes, qui est née en Afghanistan, ne fasse pas partie de ce groupe, mais mettons cela entre parenthèses — ont fait une annonce conjointe :

[...] le Canada réinstallera 20 000 Afghans vulnérables menacés par les talibans et forcés à fuir l’Afghanistan.

[...] nous introduirons un programme spécial axé sur les groupes particulièrement vulnérables qui ont déjà été accueillis [...] au moyen des volets de réinstallation existants, notamment les femmes dirigeantes, les défenseurs des droits de la personne, les journalistes, les minorités religieuses persécutées, les personnes LGBTI et les membres de la famille des interprètes précédemment réinstallés.

Je n’ai pas le temps d’expliquer en détail le danger et le chaos grandissants à l’aéroport de Kaboul — souvent appelé aéroport international Hamid Karzaï —, qui était le principal point de sortie des Afghans cherchant à fuir et l’endroit où les forces internationales, y compris nos soldats canadiens, tenaient un périmètre qui diminuait rapidement afin de protéger l’accès au terrain d’aviation, le seul endroit en Afghanistan qui n’était pas encore contrôlé par les talibans après la chute de Kaboul, le 15 août.

Je suis certaine que vous vous souvenez de ces images de corps tombant d’avions en mouvement et des avions canadiens prenant leur envol presque vides. Malgré cela, j’ai constaté que la plupart des représentants canadiens — en particulier les membres des Forces armées canadiennes — faisaient tout en leur pouvoir pour aider ces Afghans vulnérables, allant au bout de leurs limites et faisant de leur mieux pour les aider. Or, leurs bonnes intentions ne sont pas venues à bout d’une combinaison parfaite de défaillances dévastatrices, d’erreurs de communication et de coordination et d’obstacles administratifs qui, mis ensemble, ont assuré ce cafouillage. Non seulement des Afghans ont été abattus, battus et asphyxiés avec du gaz lacrymogène, mais en plus, j’ai reçu de nombreux rapports de femmes afghanes me disant que même lorsqu’elles parvenaient à la ligne des soldats occidentaux, aux limites de l’aéroport, on leur refusait l’accès et on leur disait souvent qu’il leur fallait un formulaire, mais à ce moment-là, personne ne pouvait dire de quel formulaire il s’agissait.

Souvent, il revenait aux soldats de prendre ces décisions de vie ou de mort, car le personnel de l’ambassade était parti ou était en train de partir, ce qui a créé un vide — comme l’a rapporté un journal qui citait un militant — de mécanismes gouvernementaux officiels pour assurer aux personnes les plus à risque un moyen sécuritaire de quitter le pays. Bref, les promesses du Canada, annoncées par les ministres Mendicino, Sajjan et Garneau, d’évacuer et de réinstaller 20 000 Afghans vulnérables ne fonctionnaient pas très bien sur le terrain.

Le 22 août, une semaine après la chute de Kaboul, les médias ont rapporté que M. Sajjan avait dit que les forces spéciales canadiennes avaient reçu l’autorisation de faire tout le nécessaire pour évacuer les gens.

Le ministre Sajjan aurait aussi dit que les troupes canadiennes avaient toute la flexibilité nécessaire pour prendre les décisions appropriées qui leur permettraient de passer à l’action.

Son Honneur le Président : Sénatrice, demandez-vous cinq minutes de plus?

La sénatrice McPhedran : Oui.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

La sénatrice McPhedran : Les principales communications qui se déroulaient jour et nuit provenaient d’un petit cercle de hauts fonctionnaires auquel j’ai été invitée à me joindre par la ministre Monsef. J’ai demandé à faire appel à une consultante avec qui je travaillais depuis des années parce qu’elle était membre d’une équipe nationale, ici, au Canada, et qu’on m’avait demandé d’aider des centaines — beaucoup plus — d’athlètes que j’essayais déjà d’aider, des parlementaires et des défenseurs des droits de la personne, avec pour conséquence que je n’avais tout simplement pas assez d’heures dans une journée. Cette suite de courriels... J’ai chacun des courriels. Ils sont datés et tamponnés. Les autorités y sont nommées. Je peux vous dire ici ce soir que le moyen que nous avons utilisé pour essayer d’aider — en fait, nous avons réussi — et quand je dis « nous », je veux dire un réseau comprenant le Danemark, Zurich, l’Australie, le Canada et les États-Unis, chacun faisant de son mieux. Mais nous avons utilisé ce que l’on appelle une lettre de facilitation de visa. Et je l’ai obtenue. Elle nous a été transmise, à notre groupe, par le chef de cabinet du ministre de la Défense de l’époque. Si on ne peut pas faire confiance à cette source, je ne sais pas vers quelle source on peut se tourner.

Je ne peux évidemment pas fournir les détails de tous les courriels, mais j’ai toutes les pièces justificatives, et ce document est à la disposition de tous ceux d’entre vous qui veulent voir quoi que ce soit que je possède sur cette période. On s’attend à ce qu’il y ait un troisième article avec une manchette semblable. Nous devrons tout simplement y faire face. Mais la déclaration sous serment — et je dois terminer ce soir — a lieu d’être parce que six Afghans se trouvant en situation d’extrême danger traînent Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada devant les tribunaux. J’espère que je pourrai leur être utile.

Merci beaucoup. Meegwetch.

(Le débat est terminé.)

(À 19 h 29, conformément à l’ordre adopté par le Sénat plus tôt aujourd’hui, le Sénat s’ajourne jusqu’au mardi 7 février 2023, à 14 heures.)

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